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Sous un soleil hivernal radieux, les coups de klaxon se multiplient à la vue des membres de la tribu Lompré qui arrivent à destination. Les autos se garent au son des vitres baissées qui résonnent de Joyeux Noël. Les portières s’ouvrent dans le tintamarre où deux jeunes enfants sautent dans les bras de leur tante Marie. Alexandre s’avance doucement avec sa belle Karine et procède aux présentations d’usage. Félix et Frédéric retiennent leurs garçons pendant que Nathalie et Sophie donnent l’accolade à leur belle-sœur et souhaitent la bienvenue à la petite dernière du clan. Alexandre semble rassuré de l’accueil réservé à sa dulcinée.

Depuis quelques années, la tradition des cadeaux s’était effacée pour faire place uniquement à la rencontre familiale. Exception faite pour les bambins, évidemment. Sauf que... tous se toisent du regard en s’apercevant que chacun récupère, dans le coffre de sa voiture, une panoplie de présents superbement emballés.

—    Eh ! Que se passe-t-il ? Nous avons tous enfreint la règle du non-consommateur. Sans nous consulter, en plus ! Ça, c’est plus fort que le Père Noël ! » Frédéric rit dans sa barbe naissante et tous s’y rallient.

—    Pas d’inquiétude. Nous serons les seuls, ce qui fait déjà beaucoup. » Félix pique un clin d’œil. « Notre ingénieur d’exilé de frère, lui, n’aura sûrement pas dérogé. On parie ? »

C’est dans cette atmosphère de gaieté complice qu’ils poussent la porte du 5820 de la rue Mayrand. Robin et Kevin se précipitent sur les grands-parents et bafouillent en même temps. Chacun veut être le premier à annoncer la bonne nouvelle.

—    Grand-papa, il y a plein de cadeaux. Oui, oui, regarde tous les paquets. » Robin regorge de fierté pendant que Kevin se rabat sur sa grand-mère pour lui dévoiler la surprise.

—    Bravo les fistons ! Je crois comprendre que le Père Noël nous a tous trouvés sages.

Dans le temps de le dire, le vestibule est envahi par les adultes lourdement chargés. François accueille ses neveux, pressés de serrer leur oncle qui vient de loin. Alexandre, tout souriant, se dépêche de passer devant pour présenter sa belle à son papa qui la reçoit chaleureusement. Les joues de Karine s’empourprent légèrement et s’ensuit un courant de sympathie. Le fiston se permet alors une grosse caresse envers son père dont les yeux s’embuent timidement. Pendant que le nouveau couple se dirige vers Michelle et Florent qui, dernièrement, avaient fait connaissance avec la copine de leur petit-fils, Marie s’élance dans les bras de son frère aîné, heureuse de le retrouver. Et la ronde continue jusqu’à ce que tout ce monde se soit souhaité le Joyeux Noël traditionnel.

Les nouveaux arrivés se déplacent vers le majestueux sapin du salon afin d’y déposer leurs nombreux cadeaux. Les regards s’animent d’étonnement à la vue de l’arbre déjà bien garni de différents formats de boîtes de Noël. Chacun s’amuse alors de la supercherie des autres et la fête débute dans une explosion d’hilarité.

La distribution des innombrables étrennes occasionne une certaine commotion. Non seulement les enfants s’énervent des surprises qui leur sont destinées, mais même les adultes se contiennent difficilement devant autant de petites attentions reçues de part et d’autre. Au travers de cet exercice demandant, on trinque à ce 25 décembre, on échange et on rit aux éclats des drôleries de certains.

Puis, Félix et Frédéric quittent la fête en fin d’après-midi pour partager le repas de Noël en compagnie de leur belle-famille. Quant à Alexandre et Karine, ils ne prolongent pas beaucoup plus longtemps puisque la mère de Karine compte sur eux pour son souper de Noël. Mais ceux qui sont dans l’obligation de s’éclipser savent que ce n’est que partie remise. Tous anticipent avec une jovialité assurée le rassemblement du 31 décembre. Qu’à cela ne tienne, le plaisir sera centuplé au cours de cette soirée.

Après avoir goûté à cette agitation aussi imprévue que réjouissante, la tranquillité des lieux contraste avec les dernières heures. Calés confortablement dans les fauteuils moelleux, le regard tourné vers l’âtre où se consument les bûches savamment superposées par le maître de maison, les parents avec leurs aînés savourent ce calme à l’allure surnaturelle.

Le Père Noël peut bien se bidonner, car il les avait bien leurrés ! Trois Calvados pour Florent, trois livres pour Michelle, trois foulards pour Marie et trois atlas pour François. Ça leur apprendra à se faire des cachettes et à ne pas respecter la consigne des dernières années. Oui, Bonhomme Noël devait rire dans sa barbe blanche !

—    De toute façon, en double, en triple ou davantage, tout ça ne restera pas dans les placards. Soyez rassurés. » Florent rigole de ses trois bouteilles à provenance normande. « Que diriez-vous d’une partie de Rummy ? »

—    Hum... papa, je propose plutôt un jeu-questionnaire. » renchérit François. « N’importe lequel, le premier que tu dénicheras dans ton armoire à surprises. Et je nomme comme animatrice désignée ma sœur Marie ! »

—    Excellente idée. On achète !

—    Ta ta ta tam. » François regagne sa place au salon. « Pour une dernière fois et avec tout mon amour, le dindon vient de se faire asperger par un pro de la poire. » Il lève la main. « N’oubliez pas que je fais ce métier depuis ma tendre enfance. »

—    Bravo ! » répondent en chœur les trois autres tout en l’applaudissant joyeusement.

—    Donc, dans une demi-heure, nous passerons à table. D’accord tout le monde ?

—    Oui, maman.

—    Tu as bien dit Dans une demi-heure ?

—    Oui, Flo. Il y a un problème ?

—    Bien au contraire. C’est parfait.

Subito presto, il se lève d’un bond.

—    Mesdames, demeurez en place. François, tu me suis, s’il te plaît.

Père et fils se dirigent vers la salle de famille. D’un œil complice, Florent chuchote à François de l’aider à pousser la table à café. Ce dernier saisit maintenant ce qui se prépare et se rend compte que tout est prêt. Il ne lui reste qu’à attendre le signal.

En deux temps, trois mouvements, Florent retourne vers Michelle et lui tend la main.

—    M’accorderiez-vous cette danse, belle dame ?

—    Grand fou ! » Son regard brille de tous les feux pendant que Florent l’entraîne vers la pièce où ils exhiberont leur habileté.

À cet instant, François pèse la touche Play tout en augmentant le volume de plusieurs décibels. Le tempo d’un rock’n’roll endiablé provoque l’ivresse du couple et leurs pas s’agitent frénétiquement sur la piste improvisée.

François et Marie auraient dû les imiter, mais ils restent cloués sur place. La complicité de leurs parents suscite en eux une contemplation extatique. Marie, inévitablement, se rappelle les confidences de son père ; elle se demande quelle a été la recette pour surmonter les moments difficiles et se démontrer aujourd’hui autant d’amour et d’attention. Plus elle les observe et plus elle se dit qu’un jour, elle et Julien formeront un couple à l’image de Michelle et Florent : fort et durable. Un frisson de bonheur l’envahit. Elle se tourne vers son frère qui semble plongé dans une réflexion introspective. Aussitôt, elle ne perd plus une seconde, elle secoue François et ils se lancent dans la danse. Elvis devra tenir le coup jusqu’à ce qu’ils s’essoufflent ou que le chronomètre de la cuisine fasse résonner le signal d’arrêt.

Autour de la table, Michelle s’assure que rien ne manque. Avec l’aide de François, elle découpe la traditionnelle dinde pendant que Florent verse la touche finale dans les coupes Baccarat dont Michelle avait hérité du vivant de sa belle-mère Jeannine. Quant à Marie, elle s’applique à dresser joliment les assiettes.

L’exercice impromptu de danse déchaînée les a mis en appétit. On louange Florent d’avoir initié cet aparté inattendu et cela se termine par une bonne main d’applaudissement.

—    Ça, c’est de la vie, hein, papa ? » François déborde de fierté envers son père.

Florent tente de camoufler son émotion en se préparant à sortir une bouffonnerie.

—    Et si on portait un toast à notre... » Exprès, il prend un temps d’arrêt. « ... à notre superbe dinde nationale ? »

Heureux, ils le sont. Et en cette soirée du 25 décembre, ils se délectent non seulement de la succulente volaille de Noël, mais également de la chaleur émanant de cette tablée à dimension réduite. Aucun doute n’est permis, l’amour familial est dans l’air !

Marie s’est volatilisée peu avant minuit et Florent s’apprête à regagner la chambre principale. François apprécie la subtilité du geste de son père qui permet un tête-à-tête avec sa mère. La cuisine représente son endroit préféré pour causer avec elle ; il existe dans cette pièce des odeurs secrètes d’intimité filiale. Tout en s’activant à ranger la vaisselle, récurer les chaudrons ou nettoyer les comptoirs, ils échangent des propos captivants, nuancés de banalités ici et là, au rythme de silences tonifiants.

François aime bien bénéficier de la compagnie de cette femme qu’il admire. Elle dénote une force cachée et dégage une énergie sécurisante. S’il devait tracer un portrait de sa mère, l’expression d’Éminence Grise lui conviendrait parfaitement. Michelle travaille dans l’effacement, mais agit efficacement. Sans que rien n’y paraisse véritablement, les décisions familiales découlent en majorité de son analyse et de son accord. À cela, il faut ajouter son sens de l’altruisme qui ne s’est jamais démenti au cours des années.

Du temps où la famille logeait dans un haut de duplex, François se souvient bien de cette vieille propriétaire grincheuse. Son intolérance envers les enfants la rendait détestable. Mais leur mère les ramenait à la politesse en leur faisant comprendre que madame Simard avait droit au respect, vu son âge et son état de santé. Jusqu’au jour où après une mauvaise chute, la dame s’est retrouvée avec un bras dans le plâtre.

Au cours des deux mois subséquents, Michelle a veillé à préparer ses repas, à s’occuper de sa lessive et à s’assurer de son bien-être dans ces circonstances navrantes. Du haut de ses sept ans, François s’expliquait mal pourquoi sa maman secourait cette femme désagréable. Michelle avait exigé également la coopération des deux jeunes aînés. De temps à autre, François ou Marie devaient se charger de porter le dîner à madame Simard. Et ça ne s’arrêtait pas là. Michelle avait tenu à ce qu’au retour de l’école, les enfants consentent une demi-heure de leur temps de jeux pour distraire l’accidentée.

François se remémore les premières fois où Marie et lui avaient dû remplir ce devoir ; cela s’était déroulé dans la contestation et le mécontentement. Mais il avait compris, par l’exemple de sa mère, qu’il était naturel qu’eux aussi participent à aider cette pauvre dame, même si elle adoptait une attitude déplaisante envers eux. Au fil des jours, Marie et lui se surprirent de leur hâte à retrouver Mamie  c’est ainsi que dorénavant ils l’avaient baptisée  pour lui raconter leur journée d’école, mais surtout pour entendre ses histoires. Elle savait les tenir en haleine et inventer des intrigues enfantines. Grimm et Andersen pouvaient disparaître sans regret.

—    Maman, devine à qui je pense en ce moment. » Il termine d’essuyer le dernier chaudron.

—    Aucune idée.

—    Tu vas peut-être rire de moi. Mais je me rappelle madame Simard, tu sais notre vieille propriétaire exécrable.

—    Oh la la ! Tu retournes loin en arrière. » Elle relève la tête et essore son torchon. « Qui aurait pu croire qu’un jour elle pleurerait à chaudes larmes de nous voir partir et emménager dans cette maison ? »

—    Comme le dit le nouvel adage, du moins pour moi, un événement négatif contient toujours du positif. Bref, son bras cassé l’aura transformée en personne chaleureuse et reconnaissante. Quelle chance pour elle... hum... de nous avoir eus, n’est-ce pas ?

—    Oui, cela a pesé dans la balance de son comportement. » Michelle n’enregistre pas le sous-entendu de François. « Après notre déménagement, je me suis fait un devoir de la visiter au moins une fois par saison. Je sais que ça lui faisait extrêmement plaisir. Au bout du compte, madame Simard m’aura légué beaucoup. »

—    Explique.

—    Avec quatre enfants, j’en avais plein les bras. Mais lorsque je l’ai vue handicapée avec ce plâtre, ma compassion a pris le dessus. Malgré son caractère acerbe, je me devais de lui venir en aide. Ce geste de générosité s’est vite converti en dérivatif, car cette occupation imprévue me distrayait des couches et des biberons ! » Elle lance un sourire moqueur à son fils.

—    Par hasard... Y aurait-il une cause à effet sur ton implication en bénévolat ? Il me semble que ça flaire l’influence circonstancielle ! » François sort son petit ton humoristique.

—    Mais oui ! La mésaventure de madame Simard en fut définitivement l’élément déclencheur. Je me suis aperçue que nos allées et venues éveillaient en elle de meilleurs sentiments. Au début, je la sentais très réservée sur la reconnaissance, mais au fil des jours, les mercis et les sourires se sont multipliés. Son visage se métamorphosait, ses traits s’adoucissaient et ses rides gagnaient en charme. Comme quoi, notre jeunesse la faisait peut-être un peu revivre. Ça m’a sonné toute une cloche !

—    Dans le fond, madame Simard était tout de même une bonne personne ?

—    Tout à fait. » Elle s’empare d’un ustensile oublié, le nettoie et le remet en place. « Attends la suite et tu comprendras. Lors de mes visites saisonnières, elle s’est mise à me raconter plein d’anecdotes sur des gens qu’elle avait fréquentés et je t’assure qu’elle était passionnante. À son décès, je me suis remémoré plusieurs de ses récits et soudainement, cela est devenu une évidence : il s’agissait de son propre vécu et non celui de son entourage. Ce qui m’apportait un éclaircissement sur la probable raison de son caractère souvent invivable. »

Elle jette un regard scrutateur sur l’état général de la cuisine.

—    Je crois qu’on a atteint notre objectif ; notre travail au bord de l’eau est maintenant terminé !

Elle garde une coquette fierté de ce jeu de mots qu’elle utilisait pour attirer les garçons à participer à la vaisselle. Elle les piégeait en leur proposant de venir s’amuser tout en pataugeant dans l’eau ! Elle pique un clin d’œil à François qui relève l’astuce et rigole.

—    Et si on achevait notre madame Simard ?

—    On joue sur l’ambivalence des termes. Tu veux l’euthanasier ?

Leurs éclats de rire résonnent en chœur.

—    Mais encore, qu’est-ce que madame Simard t’a appris ?

—    Au-delà de toutes nos rencontres, j’en retiens une devise qui m’apparaît primordiale Chaque porte a son histoire. » Elle marque une pause. « À travers ces quelques mots, j’ai fini par comprendre beaucoup. Comme quoi, il faut se garder de juger trop rapidement. Il y a presque toujours une raison sous-jacente à une attitude. J’insiste sur le presque ; ta mère ne voudrait surtout pas user de dogmatisme ! » Puis elle enchaîne comme si sa pensée se différait du dernier énoncé. « Fait bizarre, la dernière fois que je l’ai vue, elle m’a beaucoup parlé de vous deux, toi et Marie. Elle m’entretenait sur ses contes, pour lesquels vous aviez un attrait presque démesuré. Ce que je ne soupçonnais pas d’ailleurs. » Elle se fait couler un grand verre d’eau. « Elle m’avoua qu’elle avait été, jadis, une auteure de livres pour enfants. Qui l’aurait cru ? Elle qui semblait détester tout ce qui n’était pas adulte. »

—    Vraiment ? Eh bien ça alors ! » François est estomaqué de cette révélation. « Mamie S écrivait des histoires pour des enfants de notre âge ? Mais pourquoi ne nous en as-tu jamais parlé ? »

—    Je ne sais pas. Un oubli probablement. Ou parce que vous ne m’aviez jamais mise au courant qu’elle vous fascinait à ce point par ses intrigues. Auriez-vous eu peur que je découvre que, finalement, vous preniez plaisir à ces obligations que je vous avais imposées ?

—    Franchement, oui. Jamais, on a voulu démontrer, Marie et moi, que Mamie S nous faisait vivre des moments palpitants. Sinon, tu nous aurais possiblement coupé notre portion de bénévolat. Hein, petite maman ? » Son air de gamin prend le dessus et il se met à rire candidement.

Michelle s’esclaffe.

—    Ah, mes coquins ! Vous m’aurez eue. Donc... vous vous êtes réellement attachés à cette vieille acariâtre qui n’intéressait plus personne. » Tout en avalant sa dernière gorgée d’eau, elle saisit les mains de son garçon. « Tu sais, François, madame Simard représente le plus bel exemple de la nécessité que les adultes vieillissants puissent cheminer en gardant le contact avec le jeune âge. »

—    C’est pour cela que tu t’es dévouée dans diverses causes reliées à ces personnes ; tu leur apportais ta fraîcheur.

—    Exactement. Comme quoi, les plus jeunes procurent une bouffée d’inspiration aux aînés.

François pose un regard de fierté sur sa mère.

—    Tu m’émerveilles !

—    Laisse-moi donc poursuivre au lieu de me gêner ! » Elle ne veut pas perdre de vue la conclusion de cette histoire. « Cette expérience m’a fait comprendre le sens de l’équilibre des générations. Je l’appelle mon IP.

—    IP, comme...

—    Comme inversement proportionnel. La présence et la modernité d’une jeunesse auprès des plus âgés et l’empathie alliée à l’expérience des plus vieux envers les plus jeunes.

—    Ah ! C’est donc pour cela qu’à un certain moment, tu t’es orientée vers les petits ?

—    Oui. Peut-être te souviens-tu que c’est au début de la cinquantaine que j’ai changé de clientèle. Il était temps ! » Elle prolonge par un rire discret. « Mon apport aux gens âgés se dépréciait ; je ne représentais plus le miroir de leurs belles années. C’est là que je me suis ressourcée dans le bénévolat pour les enfants malades. Je leur donnais de petits bonheurs et je soulageais les parents l’espace de quelques heures. » Elle soupire. « Quelle épreuve pour eux ! »

—    Pauvres enfants !

—    Non, François. On ne peut utiliser ce qualificatif pour désigner leur malheur. Ils ne sont pas pauvres. Elle insiste sur ce dernier mot. « Ils débordent de richesse et de courage. Ils dégagent une énergie bouleversante. »

François saisit bien la clarification apportée par sa mère.

—    Et maintenant ? Es-tu toujours active dans l’écoute téléphonique pour adolescents en difficulté ?

—    Mon engagement envers eux se termine dans quelques mois. Après cela, j’entreprends un recyclage pour l’aide aux devoirs, niveau primaire. Je me fais une règle de diversifier mon bénévolat ; c’est pourquoi je change de créneau. Malgré mes 65 ans bien sonnés, je suis en pleine forme. Je veux continuer le plus longtemps possible. Sinon, je risque de devenir une vieille radoteuse ! » Elle rit comme si une certaine timidité s’emparait d’elle.

François la regarde avec fascination. Un silence s’installe entre eux.

—    Je comprends papa d’être tombé en amour avec une femme comme toi !

Et voilà. Michelle rougit, comme si elle avait pressenti que cela se terminerait par un compliment, chose à laquelle elle s’habitue difficilement de la part de ses rejetons. François la prend dans ses bras, lui fait la bise et la remercie de cette précieuse causerie.

L’une après l’autre, les lumières s’éteignent. Au moment où François appuie sur l’interrupteur du sous-sol, Michelle revient vers lui.

—    C’est beau de voir Alexandre en amour... » Après une fraction de seconde, elle continue : « mais ça te fout un vague à l’âme, n’est-ce pas ? »

—    Hum... » Il cherche ses mots. « Disons que c’est un mélange de sentiments. Ça donne un coup de vieux de voir son garçon se transformer en homme. »

—    Oui. Tu as raison. Voir son enfant traverser le pont pour rejoindre l’âge adulte et connaître l’amour représente une étape difficile pour un parent. » Elle semble hésiter puis ajoute : « Sois patient. Un jour, ton tour viendra. »

François émet un rire frileux, celui dont une mère ne peut être dupe. Il se hasarde à une boutade.

—    Oh il semble que tes antennes prévoient un avenir prometteur pour ton fils ?

Consciemment, il se sent incapable de prononcer le mot Amour, parce que c’est bien de cela qu’il s’agit.

Elle pose la main sur son bras.

—    Je sais qu’à toi aussi, cela arrivera. Joyeux Noël mon grand ! Dors bien.

—    Joyeux Noël à toi aussi. Merci, ma petite maman.

Michelle allège ce moment quelque peu émotif.

—    Que je sache, je fais toujours mes cinq pieds cinq !

François saisit la supercherie.

—    Que je sache, je ne suis pas plus grand qu’avant !

Tous deux s’échangent un sourire d’affection et prennent le chemin de leur chambre.

Étendu dans ce lit qui avait été sien pendant ses années de préadulte, il écoute en sourdine les airs de jazz, s’évade dans ce 25 décembre et se met à rêvasser.

Qu’arrivera-t-il de LUI ? Que lui réserve sa vie ? Sa mère a voulu le réconforter par ses prédictions, mais n’empêche qu’il voit son cadran d’homme se rapprocher du minuit ; le temps presse. Serait-il en mal d’amour ?

OUI, François Lompré. Indéniablement, oui.

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