Chapitre 1
Je ne comprends pas encore ce qui a poussé mon père à venir s’enterrer dans ce coin perdu de l’Abitibi. Déjà que cette contrée n’offre pas grand-chose d’autre que des trous de mines percés au gré de quelques sillons de minerais divers. J’aurais compris, à la limite qu’il se soit établi dans une ville plus importante comme Val d’Or ou Rouyn-Noranda. Mais Macamic… C’est au milieu de nulle part…
La première fois que j’y suis allé, c’était pour lui emmener les effets personnels qu’il avait laissés chez moi. « Trop fragile pour les confier au camion de déménagement » qu’il m’avait dit. Et c’était à moi qu’il incombait de ramener tous ses précieux trésors. Comme si sa collection d’oiseaux empaillés valait de l’or. Il l’avait constitué au fil des ans, ramassant les hiboux et autres volatiles morts sur le bord des routes ou au pied des arbres gelés au milieu de l’hiver. J’avais toujours considéré cette activité comme une lubie sans intérêt mais elle lui avait permis de trouver une raison de vivre après la mort de ma mère. C’est vrai qu’il s’ennuyait à mourir après son décès subit, elle qui l’avait accompagné au cours de trente années. J’avais bien pensé qu’il suivrait la même route mais il avait trouvé dans cette occupation une raison de continuer à vivre. Je ne comprenais pas vraiment ce qu’il trouvait d’intéressant à empailler ces animaux morts mais cela me permettait de ne pas trop me préoccuper de sa solitude. Il s’était découvert cette passion, avait suivi des cours de taxidermie et s’était équipé du matériel nécessaire. J’avais visité plusieurs fois son atelier avec sa table couverte d’attirail et de produits divers. Ce qui m’impressionnait le plus c’était les yeux en verre qu’il utilisait pour remplacer les originaux., ces derniers ne pouvant être conservés par le biais d’un traitement chimique. Il pouvait consacrer ses journées entières, penché au dessus de sa table avec ses outils lui servant à dépouiller, tanner et constituer la forme du mannequin avant d’y enfiler la peau. Ses premières ébauches étaient un peu grotesques mais maintenant il réussit à produire des résultats intéressants. Surtout depuis qu’il entoure ses productions de petits paysages qui donnent un semblant de vie à ces êtres dénués d’existence.
Mais voilà qu’au lieu de demeurer dans son logement à Montréal, il avait choisi de s’établir dans cette petite ville de l’Abitibi-Ouest, à huit heures de route de Montréal. Je l’entends encore me dire « Tu vas voir, le lac est superbe et il y a plein d’oiseaux en été.». En fait de lac, j’ai surtout vu une étendue d’eau brune et boueuse qui mérite bien plus le nom de castor boiteux d’origine algonquine que celle de lac des merveilles tirée de la langue crie. Encore heureux que la localité n’ait pas adopté la dénomination première du secteur de Colombourg : Jument Blanche. Pas très original le monsieur Ayotte qui avait choisi le nom de son cheval pour désigner cet endroit. Il faut dire que c’était en 1912… Qu’importe! Les Colombourgeois sont devenus des Macamicois après l’événement des fusions municipales et tant qu’à moi il y a encore trop de monde dans cette contrée perdue.
Pour en revenir à mon père, il avait acquis une petite maison bardée d’aluminium de couleur verte (quelle horreur!) située au cœur de ce qu’était cette communauté à l’origine. Il avait songé à acquérir un terrain situé dans ce nouveau projet appelé Fortin Les Berges mais avait abandonné le projet de construction d’une résidence. « Cela aurait été agréable de m’installer sur le bord du lac mais je préfère vivre plus modestement. Et puis cela va m’inciter à marcher davantage plutôt que d’utiliser ma voiture. » qu’il m’avait dit. Le temps lui a également donné raison. Divers retards dans le projet de développement se sont produits si bien que l’électricité ne fût disponible qu’en septembre 2008. Et le téléphone en janvier 2009. Mon père s’étant installé à l’été 2007, il lui aurait fallu vivre dans la gadoue pendant deux ans. Beau programme pour le nouveau résident de la plage à Bergeron…
Il faut dire que mon géniteur est encore en bonne santé. La soixantaine à peine dépassée, le cheveu légèrement grisonnant et la jambe encore alerte, résultat sans doute de ses activités de marche accomplies pour la cueillette de ses oiseaux morts. Retraité de son emploi de fonctionnaire de la Ville de Montréal depuis cinq ans, il était à peine parti de son emploi que c’était ma mère qui l’avait quitté fauchant du même coup ses projets de vie avec elle. «Nous allons enfin pouvoir voyager comme j’ai toujours rêvé» était le motus qui revenait sans cesse quand j’allais souper le dimanche avec eux. En fait de voyage, le premier fût de l’accompagner dans son dernier trajet vers le cimetière. Ce fût pénible de le voir prostré sur le bord de sa tombe. Et je demeurais sa famille la plus accessible, ma sœur étant depuis longtemps établie à Vancouver avec son mari. Même s’il ne l’a jamais mentionné, je soupçonnais mon père de caresser le projet de venir combler mon célibat de sa présence, ce qui aurait fort dérangé ma solitude. Deux solitudes ensemble ne forment pas toujours des fréquentations heureuses… Ma vie est fort bien organisée et je n’ose imaginer ce que serait devenu mon environnement avec la nouvelle passion qu’il avait adoptée. Des fois je pense qu’il lui serait encore possible de rencontrer une nouvelle compagne, ce qu’il refuse d’envisager. Bref, il s’occupe de redonner un semblant de vie à ses oiseaux morts et c’est bien ainsi.
Depuis son déménagement à Macamic, j’avais rendu visite à mon père une fois par année, durant la période estivale. Au cours de l’été dernier, il m’avait fait part de son désir que j’aille fêter Noël chez lui. « Cela fait deux ans que je vais à Montréal pour les Fêtes. Ce serait bien que soit toi qui viennes me voir cette année. » Il m’avait confié ce vœu alors que nous promenions dans le sentier du Grand Héron sur le bord du lac, après nous être attardé au sommet du poste d’observation. Je m’étais d’abord montré réticent à entreprendre le trajet en plein hiver mais je m’étais finalement laissé convaincre. C’est ainsi que je me retrouve au milieu du parc De La Vérendrye en cette journée de décembre. Et il neige… À plein ciel… Les essuie-glaces ont peine à déblayer le pare-brise de mon automobile. Et que dire de la route à peine ouverte sur une seule voie. Les nombreux camions peinent lourdement pour gravir les nombreuses côtes. Sans compter les trombes fangeuses qui voilent ma vue à chaque passage de ces monstres sur roues de l’autre côté de la route. Je n’aspire qu’à arriver à la halte du Domaine pour pouvoir souffler un peu. Et griller une cigarette… Je ne m’autorise pas à fumer dans mon véhicule mais c’est un plaisir de pouvoir en respirer une à chaque halte. J’écoute à peine la radio qui bourdonne en sourdine, je suis absorbé par la conduite difficile. Enfin, l’enseigne tant attendue s’annonce sur le bord de la route. Malgré que l’automobile ait ralenti, j’ai failli dépasser l’entrée. Il y a foule d’engins motorisés dans le stationnement du Domaine tant et si bien que je dois me garer à l’extrémité du stationnement. Mais enfin un instant de repos bien mérité. Avant de repartir pour la deuxième moitié du voyage… La plus pénible… Parce que si la route jusqu’à Val D’Or est difficile, je n’ose m’imaginer ce que cela sera entre Amos et le Royal-Roussillon! Les régiments de la Reine et l’armée de Montcalm auraient dû demeurer en France plutôt que de venir dénommer les cantons de leur patronyme… Et Laurier de se garder de bâtir le chemin de fer Transcontinental… Et la neige de demeurer encore plus au nord de préférence… Bon, rien ne me sert de maugréer, j’ai encore une longue route à parcourir.