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Chapitre 2

Arrivée à Amos, enfin! Déjà dix heures se sont écoulées depuis mon départ et je suis loin d’être arrivé chez mon père. Une chance que la neige a cessé de tomber à mon arrivée à Val d’Or. Après l’arrêt de mise au Forestel, j’ai franchi les quatre carrefours giratoires pour laisser la 117 et entreprendre le dernier (et non le moindre) parcours le long de la 111. Évidemment, il a fallu que la charrue se mette de la partie pour ralentir la circulation. C’est à allure réduite que je traverse les villages de La Ferme, Villemontel, Launay. Enfin, elle tourne à Taschereau et la voie est libre sur le chemin de Anciens et celui des Pionniers jusqu’à Authier. La nuit tombe rapidement et il me faut user de prudence pour ne pas me retrouver dans les énormes congères qui bordent la route. Plus qu’une dizaine de kilomètres jusqu’à Macamic. Arrivé près du Centre Hospitalier St-Jean, j’aperçois une grande quantité de lumière semblant surgir du village et, encore plus surprenant, une grande quantité de véhicules qui semblent stationner le long de la route qui mène à la localité. Je suis bien intrigué car c’est la première fois que je vois autant de circulation sur cette artère. Je suis bien obligé de suivre le cortège pour traverser le pont qui enjambe la petite rivière à l’entrée de l’agglomération et je vois une arche de lumière installée de l’autre côté du pont avec une inscription illuminée « Bienvenue Noël à Macamic » qui fait tout le tour de la structure. Mais qu’est-ce qui se déroule ici? Qu’est-ce qui se passe dans ce trou perdu? Il semble y avoir des décorations pleines de lumières partout. Devant chaque maison, il y a une sculpture de glace et des ornements illuminés. Qu’est-ce qui se passe dans ce coin de pays quasiment isolé du reste du monde. C’est presque désert en plein été alors il faut se l’imaginer l’hiver quand la neige le recouvre d’un manteau de congères blanches qui l’enveloppe encore plus. Il doit y avoir plus de caribous que d’automobiles ici en hiver. J’ai bien hâte de savoir le fin mot de l’histoire. Mais je n’ai pas vraiment le cœur de regarder tout cela, j’ai trop hâte d’arriver chez mon père. Heureusement, je peux tourner à droite pour me rendre à la demeure du paternel. Je ne suis pas au bout de mes surprises. Devant son domicile, une partie de sa collection d’oiseaux empaillés est étalée sur fond de paysages pittoresques. Tout cela éclairé de mille feux scintillant en alternance. J’ai bien hâte de savoir ce qui se passe ici. Il y a si peu d’événements dans ce coin. Tout au plus quelques accidents de ferme comme celui de l’automne dernier alors qu’un homme a été écrasé sous un arbre. À moins qu’il n’y en ait davantage mais mon père ne m’en parle pas. Le temps de quérir ma valise à l’arrière de mon véhicule et de grimper l’escalier, la porte s’ouvre sur ce dernier, tout souriant.

  • « Salut Yvan, je te surveillais par la fenêtre. Le voyage s’est bien passé ?»
  • « Bonsoir ‘pa! Il y a eu de la neige presque tout le long du chemin. Ça n’a pas été facile dans le parc. Et puis la charrue à partir d’Amos. Pour le reste, cela allait. Une chance que j’ai un 4X4… Qu’est-ce qui se passe ici? Il y a plein d’autos à l’entrée du village… et toutes ces lumières… et devant chez toi ??? »
  • « Commence par entrer et t’asseoir, je vais te raconter. Dépose ta valise dans le coin. Veux-tu quelque chose à boire? Une bière, du café ? »
  •  « Oui, une bière ce ne sera pas de refus. »

Mille questions se pressent dans ma tête pendant que je laisse ma valise près de la porte d’entrée et me dirige vers une des chaises de la table de cuisine. Un coup d’œil rapide le long de la pièce m’indique que rien n’a changé depuis ma dernière visite. La simplicité est de mise avec la petite table qui occupe le centre de la pièce. Toujours les mêmes armoires de noyer brun qui assombrissent le décor malgré les fenêtres disposées de chaque côté de la porte. Le comptoir fait face au voisin avec son petit carreau au haut de l’évier en inox. La cuisine occupe tout le devant de la maison, rappel de l’importance de cet espace dans la vie des gens de la campagne. Rien sur les murs pour attarder l’œil. Le souci de la décoration n’est pas la qualité première de mon père. Il est bien plus occupé à son hobby qu’à son environnement. Je ne peux que l’approuver dans ce choix qui respecte mes propres priorités.

  • « Tiens voilà! Ça va te faire du bien ! »
  • « Mais qu’est-ce qui se passe à Macamic ? »
  • « Tout a commencé à l’été de l’année passée. J’étais parti en observation dans le coin du pont Molesworth, tu sais le pont couvert rouge qui enjambe la rivière Loïs, la petite rivière à l’entrée de la ville. La route du pont, le deuxième rang, rejoint la 111 et un peu avant la sortie, il y a un petit bois qui longe la voie ferrée. Des fois, je peux trouver des spécimens d’oiseaux intéressants. Ce qui fait que je n’ai rien trouvé et je suis revenu en suivant les rails, des fois que j’en apercevrais dans les bois des deux côtés du pont de chemin de fer. Un peu avant l’ancienne gare, je vois un vieux monsieur qui regarde sur le bord du rail. Il y avait là un canard siffleur étendu dans le gravier. Ne me demande pas ce qu’il faisait là, c’est pas courant de le retrouver dans la région. Je sais qu’il y en a dans le bout d’Amos. Qu’importe! C’est un beau canard à tête brune, moins coloré que le branchu, puis je n’en avais pas dans ma collection. »
  • « Abrège, le père… Quand tu commences dans tes descriptions, ça n’arrête pas… »
  • « Bon, bon, je continue… T’énerves pas… Tu peux t’imaginer que j’étais fier de cette découverte. J’ai pris le canard dans mes mains et j’ai commencé à raconter au vieux monsieur comment j’étais content de trouver cette espèce. Puis lui, il m’écoutait avec attention, sans dire un mot. Il avait l’air bien intéressé. Ce qui fait qu’au bout d’un moment, je me suis présenté en lui expliquant que j’étais nouvellement arrivé à Macamic et que j’empaillais des oiseaux pour mon plaisir. Il m’a dit qu’il s’appelait Roger et qu’il demeurait à la résidence en face de l’ancienne gare au milieu de la ville. Nous avons continué à converser le long du chemin de retour et, en le laissant, je lui ai promis de revenir le voir le lendemain car je devais retourner à la maison pour commencer à travailler sur ce spécimen avant qu’il ne se dégrade davantage. »
  • « Et puis… »
  • « Je suis effectivement retourné le lendemain pour continuer ma conversation avec lui. On était assis confortablement dans la balançoire sur le perron et la conversation a porté sur nos histoires respectives. Il est né à Macamic, son père avait bâti une série de petites cabanes sur le bord du lac. Il avait géré un motel qui avait bien fonctionné pendant une bonne période mais il ne se sentait pas si bien que ça dans cette occupation. Il aimait les chiffres, la comptabilité, un travail tranquille, sans avoir affaires au public. Il est demeuré à Montréal et les environs pendant plusieurs années et est revenu ensuite à Macamic quand il a pris sa retraite. On se comparait tous les deux avec cette situation. Ce qui fait que c’était bien drôle. Et puis, c’est un vrai pince-sans-rire. Il est spirituel et aime bien raconter l’histoire de sa famille et de la ville. Il a plein d’anecdotes à relater, il est vraiment très intéressant. »
  • « Oui, toi aussi tu peux parler longtemps quand tu veux décrire quelque chose. »
  • « Oui, c’est vrai! Mais laisse-moi continuer ! »
  • « O.K, O.K… Continue… »
  • « Ce qui fait que Roger me parlait de l’histoire de Macamic, comment il y avait plein de scieries auparavant qui donnaient du travail à beaucoup de monde, comment le lac était important pour cette industrie, que le lac avait subi une transformation importante suite aux barrages construits en 1994 et 1995 sur la rivière La Sarre, celle qui relie le lac Macamic au lac Abitibi. Et puis que les activités des moulins ont été transportées à Taschereau, occasionnant bien des pertes d’emploi, et que maintenant il n’y a plus grand-chose qui se passe ici. Une chance qu’il reste le centre d’hébergement pour que les gens travaillent. Ils ont même failli le perdre. Il y a un grand rassemblement l’été, la chasse à l’automne et la pêche sur glace en hiver mais cela ne procure pas beaucoup de travail. »
  • « Oui, mais ça ne m’explique pas ce qui se passe aujourd’hui… »
  • « J’y arrive, un peu de patience… »
  • « C’est que je tombe de fatigue. »
  • « Aimerais-tu mieux que je continue demain ? »
  • « Non, non, je suis curieux de savoir… »
  • « Ce qui fait que nous avons continué à nous voir et à raconter des faits divers. Un beau jour, alors que nous parlions de choses et d’autres, le maire est venu voir sa mère qui demeure au centre. Il sortait et allait rejoindre son auto et Roger m’a dit :

« Tiens, voilà le maire qui s’en va. Ça arrive des fois qu’il vient faire de la musique à la résidence. Moi, ça ne m’intéresse pas beaucoup mais ça divertit le monde. »

Cela faisait un bout de temps que j’avais une sorte de projet qui mijotait dans ma tête. Je ne savais pas trop quoi au juste mais je me disais que ce serait intéressant de faire quelque chose avec l’histoire de Macamic. »

  • « Oui, toi des fois tu as des idées bizarres. Comme ton projet d’oiseaux… »
  • « Parle pas contre mon divertissement. Cela m’occupe et puis j’aime ça. Bon je continue. Ce qui fait que quelques semaines plus tard, j’ai recroisé le maire à la résidence et je lui ai dit que ce serait intéressant d’organiser quelque chose à propos des souvenirs sur Macamic. Il n’était pas très réceptif au départ mais, tu sais, des fois quand j’ai une idée dans la tête… »
  • « Oui, je connais… »
  • « Ce qui fait que j’ai repensé à ce projet et j’en ai discuté avec Roger. À un moment donné, il me racontait comment son père avait réalisé le déménagement de leur maison quand il était jeune et là j’ai eu un flash... Pourquoi ne pas organiser un genre d’exposition pendant la période des fêtes en utilisant l’hiver comme toile de fond, un peu comme le Carnaval de Québec. Ce serait un peu comme le Carnaval de Macamic. Je ne peux pas dire que Roger a été enthousiaste, tu sais il n’est pas très expressif et surtout pas toujours très spontané, mais j’ai vu une petite lueur poindre dans le fond de ses yeux. Ce qui fait que j’ai poursuivi mon idée et que j’ai continué à en parler autour de moi. Le projet s’est répandu un peu autour et finalement j’ai été invité à en parler au Conseil de ville. Je leur ai dit que cela ne coûterait pas cher si les gens prenaient la peine de simplement décorer un peu plus devant leur maison avec un thème autour de l’histoire de Macamic. »
  • « Je vois bien que ton projet s’est réalisé. Tu ne m’en avais jamais parlé auparavant. »
  • « Non, parce que tout n’était pas en place. Ce n’est qu’au début septembre qu’on a formé un comité de projet. Et cela a commencé à paraître vrai quand la Caisse Populaire et les Meubles Gélinas nous ont dit qu’ils pourraient nous donner un peu d’argent pour la réalisation. Je te passe bien des détails mais finalement, nous avons pu faire un plan. On décorerait avec des sculptures de glace le long de la route principale et autour de l’église et on installerait des arches de lumières pour accueillir les passants aux trois entrées de la ville. Sans être facile, ce n’était pas impossible à faire. »
  • « Je comprends mais de là à ce qu’il y ait tout ce monde dans le village ! Et puis, pour faire des statues de glace, vous ne pouviez pas être certain de la température. »
  • « Nous avons discuté de tous ces arguments et il y a quelqu’un qui nous a suggéré de faire des statues de lumière plutôt que de glace. Et on pourrait leur donner du mouvement en faisant alterner les lumières. L’idée a été retenue, d’autant plus qu’il était possible de les fabriquer à l’avance. Et là, une autre personne a eu l’idée de génie de demander à la ville s’il ne serait pas possible d’utiliser les voitures à chevaux de la collection Morin pour organiser des tours de calèche. Tu sais la Collection Claude Morin, les anciennes voitures à chevaux à Colombourg ? »
  • « Jamais entendu parler… »
  • « Oui, c’est vrai, je ne t’en ai jamais parlé auparavant. Dans les années 1980, monsieur Claude Morin, un résident de Colombourg, s’est fait offrir une voiture à chevaux. Il a acquis par la suite des voitures aux quatre coins de l'Abitibi-Ouest. Ce qui fait qu’aujourd'hui, il y a près d'une trentaine de voitures en exposition dont une quinzaine d'hiver. À la suite du décès de M. Morin, la ville de Macamic s’est engagée à conserver la collection. »
  • « Ça n’a pas dû être facile de les convaincre de vous laisser l’utilisation des carrioles ? »
  • « Plus facile que tu ne peux le penser. Puis les idées se sont mises à affluer d’un bord et de l’autre. Pourquoi ne pas faire quelque chose sur l’histoire du centre hospitalier avec le député Lesage et le peintre Marc-Aurèle Fortin, celui qui est décédé au centre en mars 1970. Et la pêche sur la glace… Des tours de motoneiges et de tout-terrain sur le lac. La chasse à l’orignal… Puis ce serait l’occasion de montrer d’autres projets comme celui de la Marina et de la Montagne à Fred. »
  • « Montagne à Fred ??? »
  • « Oui, c’est un autre projet en cours à Macamic. Tu sais que l’Abitibi est un territoire assez plat. Il y a des élévations en certains endroits dont un d’un peu plus de mille pieds appelé la montagne à Fred. Il y a beaucoup d’oiseaux à cet endroit. La municipalité voudrait développer un projet de sentiers éducatifs. Je ne sais pas si cela va fonctionner mais l’idée de présenter le projet suscitait de l’intérêt. Et puis cela nous a aidé à obtenir d’autres autorisations. »
  • « Cela a dû te tenir pas mal occupé… »
  • « Pas mal plus que tu ne peux le penser. Il y en a eu des réunions sans compter toutes les rencontres ici et là. Ce qui fait que je n’ai pratiquement rien fait d’autre à l’automne. »
  • « Mais là je t’avoue que je commence à être pas mal fatigué. Toi, tu es parti dans ton enthousiasme, je comprends, mais moi j’ai fait pas mal de route aujourd’hui… »
  • « Oui, oui c’est vrai que je parle pas mal. Va te coucher et puis, je te ferai faire le tour demain et surtout dans la soirée. Il faut que tu voies ça. Allez… Bonne nuit. Tu sais où est ta chambre. »
  • « Oui, je sais. Bonne nuit à toi aussi. »

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