Par

                       

                                      J’AI    MAL   À   MA   SŒUR 

                                                          broken heart             broken heart              broken heart

 

 

  J’avançais à reculons dans ce couloir aux néons éblouissants. Le va-et-vient incessant du personnel augmentait la résonance de mon angoisse. Mon cœur était en lambeaux avant même d’avoir affronté cette énorme noirceur qui m’attendait. Combien de fois allais-je me retrouver dans cet endroit ? Pendant combien de temps devrais-je circuler sur ces étages ? L’horreur débutait à peine et j’avais mal. J’avais mal à ma sœur. J’ai pris une grande respiration, je me suis dessiné un sourire et j’ai poussé la porte doucement.

-           Enfin ! J’avais tellement hâte que tu arrives… Le médecin est passé me voir tout à l’heure. Tu sais ce qu’il m’a demandé ?... Si je pouvais compter sur ma famille. Je lui ai répondu Oui, oui, sans hésitation.

J’en devinais déjà la suite.

-           Il a ajouté que j’en aurai bien besoin dans les prochains mois. Après votre convalescence et avec votre accord, vous commencerez des traitements de chimiothérapie. Tu comprends ce que ça veut dire, hein ? On a diagnostiqué un cancer de l’ovaire. Je vais les accepter, ces traitements… parce qu’ils me guériront. Après tout, je ne m’appelle pas Viviane pour rien. La vie est dans mon prénom ! Elle s’était mise à rire, de ce rire qui quête l’optimisme.

-           Oui, tu as raison. J’ai alors prononcé son nom en y détachant chaque syllabe. As-tu remarqué qu’il y a deux fois Vie ?

Je tentais de me raccrocher à cette lueur qui était sienne. Je me devais de ne pas pleurer, mais au contraire de lui prouver que j’étais solide et qu’on passerait au travers. Ni l’une ni l’autre n’avaient d’expérience avec la maladie. Comment allait-on naviguer là-dedans ? Je me suis assise près d’elle. On a jasé, on s’est dit je ne sais plus quoi, mais on s’est encouragées.

-           Jocelyne... Sa voix trahissait l’émotion. Tu vas t’occuper de moi, hein ? Je ne peux pas demander ça à Dio. Il a son travail et je sais qu’il n’en serait pas capable. Il ne saurait pas quoi faire.

Elle avait la larme à l’œil. Moi, je me maîtrisais.

-           J’ai tellement besoin de toi. Ça va être difficile, je le sais, mais on sera deux. On va s’aider. OK ?

Viviane venait de me confier sa vie. Je deviendrais sa protectrice, son point d’appui, son ancrage, son espoir. J’avais le cœur en charpie. Je me suis retenue à quatre mains pour ne pas pleurer. Ma sœur, ma grande sœur ! Nous nous sentions si proches l’une de l’autre. Dorénavant, les rôles s’inverseraient. Je ne pourrais plus compter sur elle. J’en ai eu le vertige.

Il se faisait tard. Son visage montrait des signes de fatigue. Je l’ai quittée en la rassurant sur notre force commune. Pour le moment, l’important était de bien préparer sa convalescence. Elle m’a souri.

-           Oui, une étape à la fois.

Je ne sais toujours pas comment j’ai pu me rendre à l’auto sans m’effondrer. Non. C’était impossible que ça nous arrive, cette histoire de cancer. Ça ne peut pas être vrai. Pas à 39 ans. Encore une fois, je sentais que c’était fini, qu’elle ne s’en sortirait pas. Le drame. Le drame, il n’y a pas d’autre mot. Il me faudra tenir le coup devant elle. Comment allais-je faire ?

 

***

 

En ce samedi 10 juin 1989, l’averse tombait sans interruption. Me retrouvant seule dans la maison avec ce bruit incessant de pluie battante, je tournais en rond. J’attendais avec impatience l’appel téléphonique de ma sœur Viviane afin d’organiser notre départ pour Ogunquit, prévu pour le week-end  suivant. Tout comme l’été précédent, les trois sœurs, nous avions adopté une résolution à l’effet de partir quelques jours au bord de la mer, seulement nous trois. Viviane, se sentant épuisée en raison de la réfection de sa cuisine, avait demandé à retarder le voyage d’une semaine.

Quelle journée merdique, ce samedi et cette pluie qui n’en finit pas ! Non, je n’aimais pas ce que j’éprouvais en ce moment. Comme une tristesse qui s’était engagée dans les murs de ma maison et de mon cœur. Viviane demeurant à Laval et moi à Brossard, nous avions convenu de nous partager les interurbains. Aujourd’hui, c’était à son tour de m’appeler. J’avais tellement hâte que la sonnerie retentisse. Au moins, cela me ferait oublier cet inconfort intérieur que je ressentais.

Enfin, le téléphone ! Ça va me changer les idées, tout en ne sachant pas quelles idées j’avais à changer. C’est Viviane, bien sûr. Je suis tout enjouée et contente de savoir qu’on va discuter de notre périple dans le Maine. Elle semble hésiter à me dire quelque chose. Quoi ? Il y a un changement de programme. Nous ne pourrons pas partir la semaine prochaine. Et pourquoi ? Elle est calme et parle très posément. Depuis quelque temps, Viviane se plaignait de maux de ventre. Je lui disais de ne pas s’en faire, car c’était sûrement dû au stress des travaux de sa cuisine. La veille, vendredi, des douleurs intenses l’avaient empêchée de dormir et, au matin, elle s’était levée avec une enflure anormale au ventre. Seule, elle s’était rendue à l’urgence de l’hôpital. Après examens, le médecin avait conclu qu’une hystérectomie était inévitable et que l’intervention devait se faire sans délai, soit le lendemain. Mais pourquoi aussi rapidement ? On l’informe délicatement qu’il pourrait y avoir diagnostic de cancer. Non. Elle doit se préparer et digérer la nouvelle. Elle demande de reporter au mardi suivant. J’écoute, j’écoute et je reste forte. Ma voix lui donne l’assurance que je suis là et que nous serons là pour elle. On s’entend sur la logistique à adopter et je fais un effort surhumain pour la laisser sur une note réconfortante.

Bang ! Le choc ! Les mains tremblantes, j’ai raccroché. Je me suis mise à hurler, à faire les cent pas, à me recroqueviller puis à me relever. Je suffoquais. On venait de m’arracher le cœur parce que je savais d’instinct que Viviane était condamnée. Parce que cette vie qui venait de frapper fort, trop fort, préparait la mort. J’avais tellement mal et j’avais peur aussi. Peur pour ma sœur, peur de ce qui l’attendait, peur de ce qui nous attendait. Ma grande sœur, ma presque jumelle, mon alliée la plus précieuse, allait faire face à la mort. Combien de temps par en avant nous restait-il ? Combien ? Puis j’ai entendu le silence. Un silence qui nous reliait toutes les deux et au travers duquel je ressentais dans mon être entier toute la détresse que Viviane pouvait éprouver en ce moment même. Et j’ai éclaté. Je pleurais, sans retenue, sachant qu’à distance, nous nous accompagnions l’une l’autre dans nos larmes. Le déni, l’espoir, le désespoir, tout se confondait. Le sablier commençait. Là. Maintenant.

Du jour au lendemain, j’étais devenue la grande sœur de ma sœur aînée. Elle avait besoin de moi, plus que jamais. Il me semble que tout allait trop vite et trop lentement. L’opération s’est déroulée le mardi suivant. Comme prévu, je suis arrivée en fin d’après-midi, espérant miraculeusement que le pronostic de cancer soit erroné. Mais lorsque j’ai croisé le regard de l’infirmière, j’ai compris. Le verdict fatal était tombé. Il me fallait garder contenance et ne pas m’effondrer. Je suis entrée doucement. Elle m’attendait impatiemment.

 

***

 

La balade américaine s’est métamorphosée. Les frontières sont demeurées québécoises et les champs de bataille se nommèrent hôpital, cliniques, médecins, infirmières, pharmaciens. Ogunquit s’est effacée de la carte, la mer s’est retirée, la plage a disparu et notre motel s’est englouti. La sœur forte, l’aînée, la leader, la familiale venait de se faire coincer. Le cancer, cet intrus indésirable, s’était immiscé sournoisement dans son corps. Pas de traitement de faveur pour ma sœur, uniquement des traitements de chimiothérapie. Sa voracité irait à l’extrême et lui prendrait toute la jeunesse de ses 39 ans.

Au cours des semaines suivantes, dans tout ce chassé-croisé de professionnels, il y eut une telle vie dans la maison de Viviane pendant ses mois de sursis que j’avais peine à croire que cela se terminerait un jour. Souvent, l’épreuve nous apprend à connaître les nôtres et c’est au cours de cette période que j’ai compris à quel point Viviane était sociable. Au fil des années, elle s’était tissé tout un réseau d’amitiés que je n’aurais pas soupçonné. J’étais impressionnée par le va-et-vient de la multitude d’amis et de connaissances de ma sœur. Les gens de son entourage arrivaient avec leurs histoires, les collègues de travail avec les péripéties du bureau, les uns avec leurs plats cuisinés, les autres avec leurs cartes remplies de mots d’espoir, et beaucoup de fous rires inopinés, ce qui procurait à Viviane une détente immense.

La chimiothérapie a débuté en août. Viviane, ne voulant pas m’imposer ses scènes de dégobillage,   jugeait que notre tante, qui œuvrait déjà dans le milieu hospitalier, serait sa meilleure alliée. Je me souviens de ces instants de révolte où elle s’indignait de cette situation inhumaine. Comment est-ce possible d’aligner tous ces malades et leur faire subir les réactions des patients voisins ?  Pourquoi les traitements ne sont-ils pas donnés à la maison ? S’entendre régurgiter les uns les autres la rendait irritable et avec raison. En novembre, comme une intuition, j’ai tenu à être auprès d’elle. Ce fut le traitement décisif. L’espoir avait sonné le glas, annonçant la Fin inéluctable de ma sœur.

Décembre s’est pointé et, pour une dernière fois, nous allions fêter Noël chez Viviane. Des cadeaux, elle en a offert à tout le monde. Dans la course folle du magasinage, je me demandais bien où elle pouvait puiser la force de se dévouer à cette pénible tâche ; sa volonté de laisser son empreinte devait la tenir à bout de bras. Noël arriva et, pour une fervente des traditions, Viviane avait été comblée. Après tout, elle était en vie et un miracle n’allait-il pas se produire ? Elle y croyait et faisait appel à grand-maman Blanche pour qu’on lui laisse sa vie. Comment a-t-on fait pour mener à bien cet invraisemblable 25 décembre ? Comme si de rien n’était. Comme si la maladie n’avait jamais existé. On a déballé les cadeaux, on a dégusté la dinde, on a ri, on a pris des photos. Viviane avait un caractère fort et sa détermination a sûrement joué pour beaucoup dans la réussite de ce dernier Noël. Mais personne n’était dupe. On savait tous.

Ce Noël-là, Viviane m’avait écrit les plus beaux mots que l’on puisse offrir à une sœur. Elle m’exprimait à quel point elle m’aimait et combien elle m’était reconnaissante de tout ce que je faisais pour elle. Ajoutant que chez nous, on n’avait pas été habituées aux démonstrations d’affection. Cette carte remplie d’amour représenterait pour moi un legs inestimable pour l’éternité.

 

                                                                                          ***

 

Quelques jours plus tard, son corps donne le signal de la dégradation inévitable. J’en comprends alors que le début de la Fin, c’est maintenant. Elle aussi. Nous sommes dans la grande salle pour le rendez-vous avec son oncologue. Le temps est long ; elle est fatiguée. On lui offre de se reposer dans un local attenant. On se retrouve seules toutes les deux. Elle pleure. Moi, une fois de plus, je ravale.

-           Jocelyne. J’ai quelque chose à te demander… Je veux m’en aller en Abitibi. Je veux que ce soit là-bas que…

Les vrais mots ne sont pas nommés. On les connaît par cœur.

-           Je sais qu’il y en a qui ne seront pas d’accord. Mais s’il te plaît, ne t’en occupe pas. Je te le demande. Peux-tu me le promettre ?

Comment lui refuser ? C’était probablement le vœu ultime pour lequel je pouvais lui apporter mon soutien indéfectible. Plus tard, j’ai compris que Viviane, tellement attachée aux siens, aurait été incapable de mourir sans un adieu à la famille élargie.

À 17 h, son oncologue la reçoit ; il la gardait pour la fin ! Elle était épuisée par cette interminable attente. Elle lui fait part de son désir et il acquiesce à son souhait, pourvu que toutes les ressources nécessaires soient prévues là-bas. À distance, il sera disponible pour faire le suivi de son dossier médical. Il me prend à part, me donne certaines indications et j’ose lui poser LA question.

-           Docteur, combien de temps reste-t-il ?

-           … Au plus, trois semaines. Ses yeux s’embuent. Les miens aussi.

Je repars avec cette échéance dans la tête. Le temps presse. Un voyage en Abitibi ; ce sera le dernier. Elle le sait et je le sais. Viviane l’avait anticipé ; j’ai eu à faire face à des commentaires désobligeants. C’était à moi de lui refuser ce voyage, à l’en dissuader. C’était complètement insensé qu’elle fasse un si long trajet dans son état. Mais rien ni personne n’allait m’empêcher de respecter ma parole. J’irais jusqu’au bout de ce chemin coûte que coûte.

Un branle-bas de combat s’organise autour de ma sœur afin de l’accueillir dans la grande famille paternelle. À sa demande, c’est tante Rose qui l’hébergera. Tout s’était mis en place pour la recevoir : l’apport des tantes, oncles, cousins, cousines, amis ainsi que médecins, infirmières et communications médicales, tout y était. Le dimanche suivant, nous partons de Laval en direction de Macamic, huit heures de route en perspective. Le beau temps nous facilite le parcours. Pendant plus de dix jours, le défilé de celles et ceux que Viviane voulait revoir s’est orchestré aisément dans la demeure de tante Rose. Des gens autour d’elle, il y en a eu, autant qu’à Laval !

Moi, je me promène entre la maison de papa et celle de tante Rose. Il y a une absurdité dans ce que je vis au cours de ces moments-là. Je me pince. Je me répète que je suis dans mon village natal pour y voir mourir ma sœur. Ça n’a aucun sens. Comment accepter que dans quelques jours, quelques heures, elle ne soit plus là ? Mon père se terre dans sa tristesse, je le réconforte. Ma mère, à Montréal, se morfond d’être loin de sa fille, j’essaie de la rassurer. Je dois tenir le coup, courageusement.

Un matin, je suis seule avec Viviane et nous sommes assises sur son lit, l’une à côté de l’autre. Elle allonge son bras jusqu’à mon épaule, je lui prends la main, elle appuie sa tête de côté sur la mienne. Et on pleure. En silence. Ce silence qui exprime à quel point on s’aime et à quel point on se manquera. Je ne dois pas flancher ; je dois continuer. Continuer à suivre son espoir, à ne pas voir la mort qui arrive à grands pas et à la soutenir inconditionnellement.

Tous les deux jours, le médecin vient la visiter et s’enquérir de son état. Elle s’étiole et les journées s’accumulent. Il faut la laisser aller, nous dit-il. Vous la retenez. Dites-lui que vous êtes prêts à son départ, qu’elle peut partir en paix. Dites-le-lui.

Le lendemain matin, je suis près d’elle et doucement, je répète les paroles suggérées par le médecin. Mon cœur n’y est pas. Comment pourrais-je être convaincue des horreurs que je suis en train de lui dire ?

-           C’est ça. Vous voulez que je m’en aille ? Que je meure. C’est ça que vous voulez. Elle s’est mise à pleurer et moi aussi.

Pourquoi, pourquoi avais-je écouté ce conseil morbide ? Pourquoi ? Plus jamais je ne le ferais. Plus jamais, si je devais revivre l’agonie d’un de mes proches, plus jamais je ne redirais ces mots cruels.

 

Le Grand départ sillonnait sa trace solidement et l’hospitalisation fut inévitable. La Fin se précisait douloureusement. Il ne manquait que maman. Il m’a fallu lui annoncer que le temps comptait, le médecin ayant prescrit le début des soins de confort. Dans l’urgence, maman quittait Montréal pour venir au chevet de Viviane. Le lendemain, en début d’après-midi, mère et fille se retrouvaient. Pour une dernière fois. Seule à seule, elles ont passé un long moment ensemble. Toutes deux avaient à se pardonner mutuellement et ma sœur n’aurait pu partir sans cette paix de réconciliation maternelle.

L’arrivée de ma mère accéléra le processus de la séparation définitive. Viviane, dans un ultime effort,   m’a demandé de nous réunir rapidement auprès d’elle. Fidèle à sa personnalité, elle préparait sa sortie avec l’assurance d’être entourée de nous tous. Et dans cette chambre d’hôpital remplie d’amour, d’incrédulité, de tristesse et de douceur, elle nous a dit Adieu en toute lucidité. Ce dernier mot prononcé, ses yeux ont basculé et pour une première fois dans ma vie, à 38 ans, je voyais la mort en direct, la mort de ma sœur, de ma grande sœur. L’horloge marquait 15 h 30 ce mardi 30 janvier 1990. Chacun de leur côté, mes parents étaient démolis. Moi, le cœur déchiré, je refoulais mes larmes. Me montrer solide jusqu’au bout… pour Viviane et pour ma famille, je m’y accrochais tant bien que mal.

Et puis je devais organiser l’Après : salon funéraire, obsèques, cimetière, rassemblement, repas, etc. La famille a revisité la famille, les connaissances ont refait connaissance et on essayait d’oublier la raison pour laquelle nous étions tous présents. Viviane appréciait la neige : ses funérailles furent accompagnées d’une petite tempête. Viviane aimait les gens : l’église était pleine à craquer. Viviane gardait un attachement profond pour Macamic : notre village natal s’était mobilisé pour elle. Viviane voulait demeurer en Abitibi pour l’éternité : le cimetière lui avait réservé sa place.

Quand tout fut terminé, nous sommes revenus chez papa et je ne pouvais croire que c’était fini. Viviane n’était plus et ne serait plus, plus jamais. Toutes les larmes que mon corps avait retenues, je les ai pleurées. Une douleur terrible me transperçait de bord en bord. Le Plus jamais se martelait dans ma tête. Non, nous ne pourrons plus nous épauler. Nous ne ferons plus de projets, juste entre filles. Nous n’achèterons pas de maisons mitoyennes à la retraite. Nous ne vieillirons pas ensemble, non plus. Et puis, non, nous n’irons plus jamais à Ogunquit parce qu’il y manquera toujours le maillon de notre aînée.

Ces derniers mois, tout ce que j’avais fait, c’était de me tenir la tête hors de l’eau. Je ne devais pas me noyer ; on avait besoin de moi. Je sentais beaucoup de responsabilités à prendre envers papa et maman. Pour des parents, perdre un enfant ne fait pas partie de la logique des choses. Pour moi, perdre ma sœur de 39 ans n’était pas plus logique. Deux semaines plus tard, j’ai quitté l’Abitibi pour retourner au travail.

Le règlement de la succession de Viviane m’aidait à combler le vide de son absence, comme si cela  permettait de la maintenir en vie. Jour après jour, je laissais défiler dans ma mémoire les beaux souvenirs de l’année précédente. Une promenade au Vieux moulin de Terrebonne, le succès de Dean Martin That’s Amore qu’elle remettait sans cesse sur la table tournante, un dîner chez St-Hubert accompagné d’un fou rire, un rock’n’roll dansé sur un air d’Elvis et encore ! Je parlais beaucoup de Viviane autour de moi, dans la famille. C’était ma façon de la sentir vivante, malgré tout. Puis, la deuxième cloche a résonné. Un an plus tard. Le 30 janvier 1991. Je ne pouvais plus me dire qu’à cette date, il y avait encore de la vie. Non. À cette date, tout était fini, bien fini. Parce que ma sœur Viviane, elle était morte pour la vie ! À partir de ce moment, un vide incommensurable s’est faufilé dans tout mon être, ma gorge s’est nouée, les mots sont restés coincés et j’ai compris que sa place serait désormais dans mon cœur et pas ailleurs !  heart

 

Photographies : Rolande Lépine

 

 
Évidemment
Interprétée par France Gall
Auteur-compositeur Michel Berger