Et dire que ça devait être un séjour tranquille de deux mois sur la Costa del Sol en Espagne…
Les perturbations ont commencé en décembre dernier avec l’apparition d’une jolie frimousse
dans la porte d’un café de la rue St-Denis.
Elena surgissait dans ma vie avec son regard profond et lumineux qui s’est logé directement dans mon ventricule gauche. Puis, d’une puissante contraction, ses effets se sont répandus dans tout mon être. Je n’en ai pas perçu toutes les séquelles sur le moment mais je ne tarderai pas à en ressentir tous les symptômes.
De rencontres en rencontres, nous nous sommes rendus compte que nous partions tous les deux pendant la même période, moi pour le pays des castagnettes, elle pour Londres et Moscou, sa patrie d’origine. De là à planifier quelques escapades potentielles, il n’y avait qu’un pas pour votre humble serviteur. D’abord quelques jours dans la capitale anglaise, puis une période plus importante à Moscou pour y vivre les plaisirs offert par la capitale russe.
Le premier acte s’est bien déroulé. Chacun de notre côté nous profitions de notre séjour en attente de nous retrouver tout en alimentant notre distance d’échanges littéraires et vocaux. Le moment du départ enfin arrivé, je m’envole pour 3 jours à Londres. À nos retrouvailles se sont
greffées divers événements, dont une comédie musicale,
et partagé bien des confidences donnant ainsi plus d’ampleur à cette relation en pleine évolution.
Le retour sur la Costa del Sol fût marqué de fébrilités et, disons-le, d’impatiences en attendant le second acte qui aura lieu dans trois semaines.
Pendant ce temps, Elena se rendait à Moscou pour organiser certaines affaires personnelles et planifier davantage le séjour moscovite. Visites des endroits réputés, le métro, assister à un ballet au Bolchoï, déambuler partout dans la ville, ma future guide ne ménageait aucun effort pour rendre mon séjour agréable dans cette ville dont elle est très fière.
Pendant ce temps, un coronavirus se préparait un séjour touristique européen. Il aurait bien dû demeurer en Chine celui-là. Mais non… Pris d’une envie de voir le monde, il s’est attaché aux innocents voyageurs de la région pour aller semer la zizanie en Europe. La suite on la connaît…
Pour moi, le premier signe d’une catastrophe annoncée a été l’annulation de mon vol prévu entre Malaga et Moscou par la compagnie d’aviation russe. Et comme j’étais tributaire d’un visa qui ne permettait pas de devancer ma date d’arrivée, je me suis retrouvé à planifier un autre trajet, ce dernier faisant étape par la Belgique avant de repartir pour Moscou. Et la période d’attente a commencé. Pendant ce temps, le virus se répandait plus vite que l’éclair et les nouvelles inquiétantes plus rapidement encore. L’Espagne se retrouvait au cœur de la pandémie et mon cœur n’en finissait pas de se débattre en moi. Malgré tout, la confiance demeurait présente car il ne restait plus que quelques jours avant mon départ prévu le 18 mars.
Mais le virus se propageait de plus en plus rapidement en Espagne et les rumeurs les plus inquiétantes circulaient dont celle de la fermeture possible des aéroports. Ne voulant pas risquer cette éventualité, je modifie ma date de départ pour aller me réfugier à Bruxelles, la Belgique n’ayant pas encore été matraquée par la bestiole maléfique. De ma petite chambre, je suis les actualités qui ne sont guère réjouissantes.
Et puis le verdict catastrophe survient… La Russie annonce la fermeture de ses frontières aux ressortissants étrangers, effectif le 18 mars. Le jour même de ma date prévue pour mon départ… Malchance de malchance…Le virus a détruit notre projet de vie russe. Adieu veaux, vaches, cochons… Perrette et ses rêves brisés se sont introduits dans les miens.
Il ne me reste plus qu’à organiser mon retour vers Montréal, ce qui ne s’avère pas si facile. Les vols d’avion ont diminué, les prix ont augmenté. Trouver un vol direct devient une mission impossible. De plus, j’entends aux nouvelles qu’une importante réunion est en cours dont l’issue ne peut être que l’annonce d’un confinement général à venir sous peu. L’employé de l’hôtel m’informe que leur établissement fermera dans deux jours et que nous serons dirigés vers des ressources mandatées à cet effet. Pour moi, cela signifie la probabilité d’avoir à demeurer dans la capitale belge beaucoup plus longtemps que prévu. Avec la perspective de n’avoir que la télé et le tour de mon lit comme divertissement… Et certainement dans une chambre grande comme un mouchoir de poche… Partir le plus rapidement possible est désormais ma priorité.
Je finis par trouver un billet d’avion valide le lendemain avec une escale à New-York. Ce n’est pas l’idéal mais qu’importe… Tout plutôt qu’un confinement sans date d’échéance. Mon vol est prévu pour dix heures et est sous la responsabilité d’Air Canada mais opéré par United Airlines pour la portion Bruxelles-New-York. Je me dirige vers le comptoir d’Air Canada pour me faire répondre que je dois plutôt me rendre à celui du transporteur américain. À ce dernier, une employée me prend à part et m’informe que depuis ce matin, aucun ressortissant étranger n’est autorisé à faire escale aux États-Unis. La nouvelle n’est pas encore diffusée. On me conseille de me rendre à la billetterie d’Air Canada. Je suis atterré. Je me vois demeurer dans le couloir pendant un temps indéterminé et une perspective de calvaire se répand dans ma tête. Pendant ce temps-là, le temps file. Il ne reste que 30 minutes avant la fermeture du service d’enregistrement. Nous nous retrouvons deux personnes avec la même réalité devant une employée qui n’est pas informée du changement survenu aux règles américaines.
Nous faisons le pied de grue en regardant nos montres sans arrêt pendant que s’amorce une session de consultation entre les différents niveaux hiérarchiques au comptoir. Et garde à nous de manifester de l’impatience dans la présentation de notre argumentaire. Une chance que l’employée garde son calme et le sourire. Cinq minutes, dix puis quinze minutes s’écoulent. Il ne reste que quinze autres minutes avant la fermeture du tapis où nous pouvons déposer nos valises. La tension monte à vitesse grand V à l’intérieur de moi. L’appréhension s’est logée dans toutes mes cellules. Mon cœur bat plus fort que les cloches de Notre-Dame.
Un soudain signe de tête du directeur sonne le moment de la délivrance. Il autorise l’émission de deux billets pour nous. Gratuitement… L’employée complète la transaction et nous accompagne au comptoir d’enregistrement. Il ne restait que cinq minutes avant sa fermeture. Dépôt des valises, émission de la carte d’embarquement, tout s’effectue rapidement. Je demande à l’employée son nom, Sandrine, et lui demande si je peux l’embrasser, ce à quoi elle acquiesce avec le sourire. Ce que je fais également avec un sourire débordant et un soulagement manifeste. Oups! Le virus… Sur le coup de l’émotion, nous l’avons oublié tous les deux. Il ne faudrait pas qu’elle se retrouve contaminée à cause de moi. La tension qui me rongeait tout le corps vient de disparaître subitement. Je jette un rapide coup d’œil à ma carte et constate que mon numéro de siège est le 06-D. C’est un billet de première classe. Je n’ai pas le temps de me réjouir trop longtemps. Il me faut traverser le contrôle de sécurité et la douane. En moins de vingt minutes…
À la sécurité, je vois mon sac à dos être dirigé de côté pour vérification. La frayeur réapparaît en moi. L’employé vérifie et constate que le bac qui contient mon sac a un défaut, raison de son détournement. Le processus recommence, cette fois positivement. Encore quinze minutes avant le départ. Au poste frontière, il y a une famille arabe qui monopolise les guichets. Je trépigne sur place. Enfin, je peux franchir la dernière étape. Je cours vers la porte d’embarquement. J’arrive avec encore trois minutes avant sa fermeture. Ouff… Je respire et je transpire… Il s’en est fallu de peu…
Effectivement, j’ai un siège en première classe. Avec tout le confort possible et inimaginable. Je pourrai dormir douillettement et avoir droit à un menu de qualité. Ce dont je profite amplement lors du vol de retour sans pourtant arriver à me débarrasser de tremblements qui agitent encore mon corps. Il y a de quoi en avoir, non….
Comme tout voyageur revenant de l’étranger, j’aurai à observer une période de quarantaine volontaire de quinze jours. Chez moi… C’est le paradis à côté de ce qui aurait pu survenir à mon existence. Elena est demeurée en Russie, un peu par crainte de se voir refuser l’entrée au Canada, beaucoup en raison de la possibilité qu’elle soit infectée par le virus et par son désir de profiter plus amplement de son séjour dans sa patrie.
Mon aventure n’est pas terminée mais ce sera le sujet d’une autre histoire dont je ne connais pas encore la finale. Vous pouvez toujours l’imaginer dans vos pensées les plus folles et romantiques. Et mon ventricule gauche est toujours opérationnel.
Jacques