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Chapitre 4

Nous nous sommes levés pour regagner le corridor et nous diriger vers la sortie, un peu plus lentement qu’à l’aller, en compagnie de Roger. Je le trouve bien sympathique ce monsieur. Il raconte des anecdotes sur sa famille, son environnement. Ses propos et son écoute dégagent une odeur de complicité et de familiarité. Rendu à la cuisine, nous nous apprêtions à prendre congé quand, tout à coup, la porte s’ouvre brusquement et un homme s’exclame :

  • « Y a du monde qui sont en train de couler dans le lac. Pas loin du chemin Lépine... »

Il n’en fallait pas plus pour provoquer le rassemblement cacophonique de toutes les personnes dans la cuisine. Après quelques minutes de tohu-bohu, nous avons pu enfin comprendre un peu ce qui était survenu. Des jeunes avaient décidé d’emmener des visiteurs pêcher sur la glace et s’y étaient rendus en tout-terrain auquel ils avaient accroché un traîneau. La glace avait cédé sous le poids du véhicule et tout ces gens étaient maintenant sur le lac, apeurés, attendant du secours. Les pompiers avaient été appelés mais ceux-ci s’étaient vite rendus compte que la glace était trop mince pour supporter le poids d’un autre véhicule. Un filet de voix se fait alors entendre à côté de moi.

  • « Mais Marc connaît bien ce coin. Il y a un passage où la glace est plus épaisse vu que l’eau est moins profonde. »

C’est Roger qui vient de parler auprès de moi. Personne ne l’a entendu au travers de tout ce concert de voix diverses. Je hausse le ton pour me faire comprendre.

  • « Écoutez! Il y a Roger qui veut parler. »

Des échanges qui ont suivi, il appert que Marc et sa famille sont absents et qu’il n’y a personne dans l’ensemble de maisons qui constitue une sorte de domaine familial. Mon père s’adresse alors à Roger.

  • « Est-ce que tu pourrais y aller pour voir si tu peux les aider ? »
  • « Je ne sais pas. Il y a des gens capables de faire les choses là-bas. »
  • « Allez ! On y va ! Peut-être qu’on peut faire quelque chose. »

Le temps de récupérer nos manteaux et nous voici en route vers le lieu de la tragédie. Arrivé sur place, nous apercevons une dizaine de personnes qui font cercle autour de la petite anse qui jouxte la pointe sur laquelle sont érigées les propriétés. Le temps de débarquer, de trouver le responsable de l’opération sauvetage et la discussion s’engage sur l’état des lieux. Une patinoire a été aménagée au bord de la baie. À une dizaine de mètres plus loin, l’avant du véhicule est plongé dans un trou d’eau avec son traîneau encore attaché à l’arrière. Les gens sont demeurés assis à l’intérieur, visiblement en proie à la terreur. Personne ne comprend comment la surface a pu céder. Suite au drame, la glace s’est fendillée tout autour. Tant que les gens ne bougent pas et demeurent prisonniers sur leur banquise, le danger ne semble pas imminent. Mais il faut tout de même les sortir de là. Et il est impossible de savoir si la glace peut supporter un poids additionnel. Roger observe la situation quelques minutes et, prenant la parole, il explique :

  • « Je connais bien cette partie du lac. Pour pouvoir les rejoindre, il faut faire le tour par l’autre côté et arriver en passant entre la petite île et la pointe. »

Ses propos suscitent l’incrédulité des responsables mais, faute d’autres solutions immédiates, il n’y a rien à perdre d’aller examiner cette éventualité. En effet, il y a une autre petite crique à cet endroit et la présence de plusieurs autres pistes indique que les lieux sont utilisés par d’autres véhicules pour se rendre sur le lac. Deux motoneiges sont réquisitionnées pour entreprendre le sauvetage. Sous le regard attentif de la foule, l’opération s’engage. Lentement les secouristes effectuent le parcours le long de la pointe, dépassent la petite maison construite au bout de la langue de terre et parviennent sans encombre à rejoindre les pauvres victimes de l’accident. En constatant qu’il est possible de passer par ce chemin, d’autres motoneigistes s’engagent également derrière. Il leur faut près d’une heure pour compléter l’aller-retour mais tout finit par bien se dérouler. Les félicitations et les accolades se succèdent parmi les sauveteurs une fois les victimes en sécurité et au chaud sous les couvertures récupérées pour la circonstance. Un peu à l’écart, mon père et Roger conversent ensemble. Je saisis quelques bribes de leur conversation.

  • « Hein Roger, il semble bien qu’on oublie que c’est un peu grâce à toi que tout s’est bien terminé. »
  • « Bah, la vie c’est un peu comme ça ! » de répondre Roger sur un ton un peu fataliste.

Le retour à la résidence s’effectue dans le silence. La fierté n’a pas nécessairement besoin de grands éclats pour s’exprimer. Le temps de déposer le compagnon d’armes à sa demeure et nous regagnons notre domicile pour prendre quelques moments de repos après toutes ces émotions.

La nuit tombe rapidement dans ce coin de pays. Ragaillardis par un souper consistant, mon père me ramène au cœur du spectacle. Je peux enfin apercevoir l’œuvre accomplie par la population locale. De part et d’autre de la rue, les mannequins s’animent sous l’alternance du jeu des lumières multicolores en leur donnant un effet de mouvement. Des bûcherons abattent des arbres, d’autres les scient au galandor. Des chevaux traînent les arbres sur le sol. Je peux même voir un arbre se faire découper dans un moulin à scie. Tout est disposé successivement le long de la rue et rappelle l’histoire passée de cette région. Devant l’hôtel Plaza, une multitude de lumières rouges scintillent pour évoquer l’incendie subi par cette construction quelques décennies auparavant. De biais, de l’autre coté de la route provinciale, les pompiers ont décoré la devanture de leur caserne avec d’anciens véhicules à incendie et de lances qui projettent de l’eau à plusieurs mètres. Un peu plus et le jet se rendrait au feu de l’hôtel. L’effet est saisissant. Des carrioles traînées par des chevaux promènent des dizaines de visiteurs éblouis par cette féerie de lumières. Des clochettes tintent partout pendant que des airs de Noël se font entendre tout le long du parcours. Nous finissons par embarquer nous aussi dans un traîneau et nous laisser transporter dans ce ballet de réjouissances. Le barbier s’est offert une chaise avec un personnage qui utilise un blaireau pour couper la barbe de ses clients. Nous passons devant le dépanneur l’Express qui distribue du café chaud à tous les passants. Sur la route menant à La Sarre, le vendeur automobile expose de vieilles voitures toutes rutilantes. Dans tout le quartier situé au nord et près de l’église, des reproductions lumineuses de peinture de Marc-Aurèle Fortin rappellent son passage dans la communauté. Nous passons devant la maison de mon père fier de son exposition d’oiseaux empaillés. Et nous nous retrouvons devant l’église. De chaque côté, s’étale une immense crèche avec ses animaux en position debout ou couchée, sans omettre les personnages traditionnels. Pour l’occasion, le curé a réinstauré la tradition de la messe de minuit. Quel prodige réalisé par tous ses paroissiens!

Après le tour de ces réjouissances, nous nous sommes retrouvés dans le stationnement de la résidence où demeure Roger. Une partie des occupants se retrouve à l’extérieur car la municipalité a organisé un feu d’artifice à l’occasion de la veille de Noël. Le copain de mon père est présent à l’extérieur. En lui serrant la main, mon père lui tient ce propos :

  • « Toute une journée, n’est-ce pas Roger ? Tu dois être fier de toi. »
  • « Oh, moi, ce dont je suis le plus fier, c’est que mes enfants soient arrivés et qu’ils soient ici autour de moi. Il n’y a rien qui me fasse plus plaisir. C’est mon plus beau cadeau de Noël. Viens que je te les présente. »

Les présentations, poignées de main et embrassades d’usage se déroulent pendant que milles étoiles scintillent au-dessus de nos têtes. Se retournant, mon père me regarde d’un œil complice, une petite lueur étrange dans le fond des yeux. Je remarque immédiatement la jolie femme au manteau blanc debout à côté de Roger qui penche légèrement la tête de notre côté. C’est à mon tour de lancer une œillade amicale à mon père. Effectivement, il n’existe pas de plus beau cadeau de Noël.