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Personnages 

Charles : Arpenteur géomètre de métier, il se définissait comme un homme de terrain avant tout. Sa marotte : Il faut avoir l’œil sur tout. Il lui faudra avoir un œil sur sa santé car depuis sa retraite sa tension a augmenté, il fait du diabète et des cataractes apparaissent.

Lucie : Conjointe de Charles depuis 25 ans, elle aurait voulu avoir des enfants mais ses vœux n’ont pas été exaucés. Elle travaillait comme secrétaire au provincial et menait le bureau avec poigne et diligence. En plus de surveiller la santé de Charles, elle participe à la collecte de biens pour toutes les causes humanitaires en rapport avec la guerre.

Linda : Voisine du couple depuis 15 ans. Elle habite dans la maison de ses parents depuis que ces derniers ont péri dans une catastrophe aérienne. Elle a fait sa carrière en enseignement et en conserve des souvenirs heureux. Elle aime bien taquiner Charles sur tout.

Réjean (dit Gnangnan) : Frère de Lucie, il aurait aimé faire fortune dans la vie grâce à ses idées géniales. Il n’a réussi qu’à engloutir l’argent emprunté à son environnement. C’est un pince-sans-rire qui est d’une compagnie agréable. On lui pardonne ses frasques. Vendeur d’automobiles usagées, il a un œil sur toutes les femmes blondes. On ne lui connaît pas d’enfant reconnu.

Les sœurs Gisèle et Rachel : Elles sont de fausses jumelles et sœurs de Charles. Passionnées de macramé et tous les arts décoratifs, elles sont végétariennes en voie de devenir véganes. Elles adorent leur frère et l’auraient certainement marié si cela avait été possible. En attendant, elles se laissent entraîner dans plein de mouvements sociaux qui se disent religieux.

Roland : Oncle de Lucie, il a pris l’habitude de se rendre chez sa nièce sans avertir. Il apporte et lit son journal partout depuis que des mauvaises expériences avec les nouvelles sur internet l’ont rendu méfiant avec ce moyen de s’informer. Il lui arrive fréquemment de s’endormir quand il lit son journal.

Les chansons sont sur le site internet :

Jacques Racicot - Musique

Scène 1

(Linda et Lucie jouent aux cartes)

Linda– 15 2 15 4 et six 10.

Lucie– C’est beau! Moi j’ai juste 4.

Linda– Je suis chanceuse aujourd’hui.

Lucie– Je suis bien contente que tu sois venue jouer aux cartes. Je dois t’avouer que je suis un peu nerveuse aujourd’hui.

Linda– Comment ça…

Lucie– Bien Charles est allé tout seul à son rendez-vous avec son médecin aujourd’hui.

Linda– Ah oui! D’habitude tu y vas toujours avec lui…

Lucie– Oui, c’est la première fois que Charles y va tout seul. Puis il me semble que c’est plus long que d’habitude. Ça fait presque 3 heures qu’il est parti.

Linda– Ah oui! C’est plus vite que ça d’habitude? Moi, ce n’est pas rare que ça me prenne plus que 2 heures. Quand j’ai un rendez-vous à 2 heures souvent je passe à 3 heures…

Lucie– Bien c’est souvent pareil pour nous. Mais aujourd’hui, Charles y allait pour ses résultats.

Linda– Ah oui! C’est vrai qu’il a commencé à faire du diabète. Puis un peu de cholestérol aussi. Mais ça ne semblait pas trop grave, du moins d’après ce que tu m’avais dit.

Lucie– Oui, mais ses derniers résultats remontent à un an. Et puis, il est aussi allé voir un spécialiste pour les yeux. Il a commencé à avoir des cataractes.

Linda– Tu ne m’avais pas dit ça.

Lucie– Ah non! J’ai dû oublier. Peut-être que j’avais les idées ailleurs à ce moment–là.

Linda– N’empêche que c’est grave les cataractes.

Lucie– Le spécialiste a dit que cela pouvait prendre du temps avant qu’elles soient mûres pour l’opération. 

Linda– Mûres…Mûres comme des fraises ou des framboises. (Elle rit)

Lucie– Ne ris pas, ce n’est pas drôle… Je n’aime pas trop ça cette histoire-là. Les yeux c’est fragile.

Linda– D’accord, tu as raison. Mais je ne comprends pas pourquoi ton mari est allé tout seul à son rendez-vous. Tu y vas toujours avec lui.

Lucie– Oui c’est vrai, mais la dernière fois ça ne s’est pas bien passé…

Linda– Pas bien passé…

Lucie– Bien oui! J’avoue que c’est un peu de ma faute mais je me sentais trop frustrée puis je dirais même jalouse un peu.

Linda– Bien là tu m’perds… Qu’est-ce qui s’est passé?

Lucie–Imagine-toi que la dernière fois qu’on est allé voir son médecin de famille, on s’est retrouvé assis dans la première rangée de la salle d’attente. Je n’aime pas trop ça, mais il n’y avait pas d’autres places de libres.

Linda–Oui et puis…

Lucie– Puis, dans la salle d’attente, les chaises sont placées en rangées comme en deux blocs un devant l’autre. Ce qui fait que les premières rangées sont une en face de l’autre.

Linda– Et puis!

Lucie– Devine qui vient s’asseoir juste devant nous…

Linda– Roy Dupuis!

Lucie– Mais non, niaiseuse… Si seulement c’avait été ça…

Linda– Je prenais une chance. Il est tellement beau Roy Dupuis… Moi, ça ne m’aurait rien fait d’attendre 3 heures avec lui devant moi…

Lucie– Je te comprends mais ce n’est pas ça qui est arrivé.

Linda– Bon, je devine que ce n’était pas à ton avantage…

Lucie– Tu as bien raison ma fille. Ce n’était pas Roy Dupuis mais une femme entre 25 et 30 ans.

Linda– Puis je devine qu’elle n’était pas trop mal faite…

Lucie– Mal faite, mal faite… Un vrai mannequin cette femme-là… Puis pas habillée en hiver celle-là.

Linda– Je vois le portrait…

Lucie– Oui, elle ressemblait à l’actrice, je ne me rappelle pas son nom, celle qui jouait dans le film, je ne me rappelle pas du titre, mais c’était avec Michael Douglas. Puis elle était interrogée au poste de police.

Linda– Ah! oui… L’actrice c’était Sharon Stone…

Lucie– Peu importe son nom…Voilà que la Miss Univers croise ses longues jambes juste devant nous. Pas très vite en plus… En plus, elle avait une robe courte pas mal serrée sur elle…On aurait dit qu’elle voulait qu’on voie sa petite culotte.

Linda– Ah oui! Quelle couleur sa petite culotte?

Lucie– Rouge… Mais ce n’était pas là la question. Voilà que je regarde mon Charles qui a les yeux fixés sur ses jambes. Puis ça dure longtemps. Du coup, cela m’a mis en furie en dedans de moi. Puis je ne pouvais pas rien dire, on était dans la salle avec plein de monde dedans.

Linda– Bien moi, si j’étais un homme, je pense que j’aurais fait pareil, non…

Lucie– Dans le fond, je sais bien que tu as raison. Mais là, j’étais furieuse contre mon mari. Alors, quand nous sommes revenus à la maison, je lui ai dit ma façon de penser, bon un peu fort je pense, je lui ai quand même dit que la prochaine fois, il y ira tout seul chez son médecin.

Linda– Ah! Et peut-être que tu y es allée plus fort que fort…

Lucie– Peut-être bien. En tout cas, Charles commence à me dire que je me trompe, qu’à cause de ses cataractes, il n’a rien vu… Je lui en ai fait voir moi des cataractes… Il n’a fait que bafouiller un peu puis il est parti prendre une marche. Pour moi, cela voulait dire qu’il se sentait coupable. J’avais raison, non ?

Linda– Peut-être que tu avais raison, peut-être pas… Je n’étais pas là. Mais je peux facilement imaginer la scène. Il affrontait l’orage sans parapluie pour se protéger. Et puis, quand ça nous tombe fort dessus, on cherche toujours à essayer de trouver un endroit plus confortable.

Lucie– Bon, bon, tu n’as pas à prendre la défense de Charles. Il est assez grand pour se défendre tout seul.

Linda– Oui, mais des fois un homme emmêlé dans ses hormones n’est pas toujours capable d’avoir les idées claires…

Lucie– C’est ça… Tu vas dire que c’est de ma faute maintenant.

Linda– Mais non Lucie, ce n’est pas ça que je suis en train de dire…

(On entend la porte qui ouvre et se referme)

Linda– Tiens, en parlant du loup, on dirait qu’il arrive…

Lucie– Oui, cela lui a pris pas mal de temps avant d’arriver.

(Charles arrive dans la cuisine)

Charles– Ça a été long. Il y avait pas mal de monde qui attendait. Ah! Bonjour Linda…

Lucie– Tu pourrais me dire bonjour à moi aussi… J’imagine qu’il y avait du beau monde qui attendait. Tu as pu en profiter pas mal cette fois-ci.

Linda– Mais voyons Lucie… Laisse les hormones de Charles respirer un peu. Elles ne sont pas encore à la retraite elles, n’est-ce pas Charles?

Lucie– En tout cas, elles sont encore bien vivantes pour certaines situations, n’est-ce pas Charles?

Linda– Mais voyons Lucie, c’est tout à son honneur d’avoir encore du swing dans le corps, n’est-ce pas Charles?

Lucie– Mais de ce temps-là son swing est meilleur au golf, n’est-ce pas Charles?

Linda– Mais voyons Lucie, c’est plus stimulant de jouer avec des bâtons neufs que du vieux stock, n’est-ce pas Charles?

Lucie– Mais voyons Linda, le vieux stock est souvent meilleur qu’un nouveau avec lequel on n’est pas habitué, n’est-ce pas Charles?

Linda– Tu sais Lucie, moi, je ne connais pas grand-chose dans ça, mais on dit que la drive, ça part tout croche avec des bâtons neufs, n’est-ce pas Charles?

Lucie– En tout cas, des bâtons neufs ça donne de l’allure au monsieur… et ça fait une belle jambe à la madame, n’est-ce pas Charles?

Linda– Puis y en a qui disent que ça joue mieux avec des balles neuves… est-ce que c’est vrai Charles?

(On entend la porte fermer)

Lucie– Bon, ça y est, il s’est sauvé…

Linda– Je dirais plus qu’il s’est enfui…Faut dire qu’on ne lui a pas laissé grande chance de placer un mot. Mais avec tout ça, on ne sait pas quel est le résultat de sa visite chez son médecin…

Lucie– Oupss…

Linda– Bon! Comme dirait un marin : Il a largué les amarres pour répondre à l’appel du large…

Chanson : L’appel du large

 

Scène 2

Charles– Mais oui je suis parti. Ma femme va dire que je me suis sauvé. Moi je dirais que j’ai pris la meilleure décision qui existe. Quand on se retrouve devant deux louves affamées, on ne va pas s’arranger pour se faire bouffer tout cru. Je n’avais aucune chance de me défendre. Je ne sais pas de quoi elles parlaient avant que j’arrive mais cela ne devait pas être de la paix dans le monde. Qu’est–ce qu’elles disaient déjà? Ah oui! C’est tout à mon honneur d’avoir encore du swing… Laisse les hormones de Charles respirer… Qu’elles les laissent donc tranquilles mes hormones, la Linda… Ça joue mieux avec des balles neuves, n’est-ce pas Charles? Oui, ça joue mieux avec des balles neuves si tu veux le savoir… Puis c’est quoi leur histoire de vieux stock puis de stock neuf… Ma Germaine… elle es-tu en train de penser que je suis en train d’aller voir ailleurs? En tout cas, j’ai besoin d’en parler avec quelqu’un. Pourquoi pas avec Réjean… On l’appelle toujours Gnangnan, le frère de Lucie. Il paraît que, quand il était jeune, quand on lui demandait son nom, il disait : Gnangnan. Ça lui est resté. Il vend des autos usagées. Il est toujours disponible pour donner son avis. Je l’appelle…

Charles– Salut Gnangnan. Comment ça va?

Réjean– Moi, ça va… Moins bien pour toi d’après ce que tu m’as raconté au téléphone.

Charles– Oui… Je me suis retrouvé pris dans une cage avec deux lionnes déchainées.

Réjean– Elles devaient avoir une bonne raison pour te taquiner. Ma sœur n’a pas l’habitude d’être comme ça. Linda, peut-être, mais pas Lucie.

Charles– Mais cela a tout l’air qu’elles en avaient des raisons. Mais je suis parti avant de le savoir.

Réjean– Ah bon!

Charles– J’ai eu un vieux prof qui disait souvent : Dans la vie, devant des situations inconnues ou dangereuses, on réagit de manière instinctive selon la règle des 3 F : On fonce, on fige ou on fuit. C’est vrai. Devant un ours, il n’y en a pas beaucoup qui vont foncer sur lui. La plupart d’entre nous vont figer et d’autres vont se sauver le plus vite possible. Il disait aussi : Devant des femmes en colère, la seule solution est de fuir. Apprenez cela messieurs… C’est la seule façon de rester sain d’esprit dans la vie. C’est une question de survie mentale. Alors, ça je l’ai retenu. Et puis c’est ce que j’ai fait. Qu’est-ce que tu aurais fait, toi?

Réjean– Je ne le sais pas. Moi, quand ça m’arrive, je boude ma blonde. Puis elle finit toujours par me demander ce que j’ai. Puis ensuite on se raccorde tous les deux. Tu vas voir, ça va se passer comme ça avec Lucie. Je la connais ma sœur. Ce n’est pas une chicaneuse.

Charles– T’as probablement raison Gnangnan. Mais là, c’était plus fort que moi. J’ai un peu perdu les pédales.

Réjean– Tu t’en fais trop avec ça.

Charles– Tu le sais, j’ai étudié et travaillé toute ma vie comme arpenteur–géomètre. S’il y a une chose que j’ai apprise c’est qu’il faut savoir mesurer ses distances. Et avant tout, avoir l’œil sur tout…

Réjean– Ça tu as raison. Je dis la même chose à mon boss au garage.

Charles– Puis autre chose aussi. Il faut connaître son terrain. Et ne pas dépasser les bornes. Savoir protéger son territoire. Ne pas céder d’un pouce parce qu’on peut le regretter plus tard. C’est souvent important, même des fois, essentiel, un pouce de plus.

Réjean– Oui, je te comprends. Un pouce de plus ou de moins ça peut faire toute une différence… Ça compte souvent pour stationner une auto au garage…

Charles– Merci Gnangnan, ça m’a fait du bien de parler avec toi.

Réjean– De rien, le beau-frère. À charge de revanche…

Charles- Je ne lui ai pas tout raconté à Gnangnan. Je pense que ma Lucie a raconté à Linda ce qui s’est passé la dernière fois que nous sommes allés chez mon médecin? Ah! Ma femme et son histoire de jambes. Ça lui est encore resté dans la tête. Je me rappelle encore de la crise qu’elle m’a faite au retour de cette visite. La fille avec son croisage de jambes… Elle avait tout faux. Je ne regardais pas ses jambes. Cette femme-là, quand je lui ai vu les nichons, vous ne savez pas quoi… Eh bien! mes cataractes ont explosé… Je vous le jure… Tout d’un coup je voyais clair… mais clair comme ça… ça n’avait pas de bon sens… Je ne me rappelle plus la dernière fois où j’ai vu clair de même. Tout d’un coup, je réalisais tout ce que j’avais pu manquer depuis que j’avais commencé mes cataractes. En tout cas depuis que le spécialiste me l’a dit… Je vous le dis, ça se tenait tellement tout seul ces affaires-là que c’était un vrai défi à la gravité. Il y avait là tout ce qu’il fallait pour rendre la main d’un homme très heureuse… Alors, je ne les ai jamais vues ces jambes-là… Encore moins la couleur de sa petite culotte comme prétend ma Germaine… Parce que quand j’ai regardé ma femme, mes cataractes sont revenues. Un vrai miracle… Je vous le dis… Un vrai miracle…C’est pour ça que j’avais la tête baissée… Je suis certain que si ma femme ne me croit pas, vous autres c’est sûr que vous me croyez… Quand je pense que j’avais peur de me faire opérer… Faites-la moi maintenant cette opération là… Bon, avec tout ça, je n’ai pas encore dit à personne ce qui s’est passé aujourd’hui chez mon médecin. Imaginez–vous qu’il s’en va à la retraite. Oui, à la retraite… À 62 ans… Il va falloir que vous vous trouviez un nouveau médecin de famille qu’il m’a dit. La belle affaire… C’est tout un contrat qui m’attend… Avec tout ce qu’on entend à propos de cette situation là… Savez-vous comment je me sens… Comme une femme qui se cherche un homme dans son blues d’automne.

Chanson : J’me cherche un homme

Scène 3 

Lucie, Charles, Linda et Roland

Charles– Lucie, sais-tu ce que mon médecin m’a dit?

Lucie– Bon, tu es revenu toi… Il t’a dit que tes cataractes vont mieux.

Charles– Lucie veux-tu bien arrêter… Ce n’est pas lui qui suit mes cataractes. C’est sérieux ce que j’ai à dire. Mon médecin s’en va à la retraite dans 3 mois.

Lucie– À la retraite…Charles, tu n’es pas sérieux… Ton médecin t’a dit qu’il s’en va à la retraite. Mais ça n’a pas de bon sens… Ça te prend un médecin pour suivre ton diabète. Renouveler tes prescriptions…

Charles– Je le sais. Il m’a dit aussi…

Lucie– Mais il est encore trop jeune pour partir. Il a quel âge déjà?

Charles– 62 ans. Le même âge que moi quand j’ai pris ma retraite. Je disais…

Lucie– Oui, mais un médecin de famille, c’est un service essentiel. Pas toi…

Charles– Comment ça pas moi… Je suis un service essentiel pour toi…

Ding dong   Ça sonne à la porte Lucie va répondre

LucieEntre Linda… Viens t’asseoir… Veux-tu du café, je viens de le faire…

Linda– Oui, avec plaisir, Lucie… Bonjour Charles…Pas trop fâché pour nos commentaires de la dernière fois.

Charles– Oui, un peu…

Lucie–Tu ne sais pas ce que Charles vient de m’apprendre. Son médecin s’en va à la retraite

Linda– Mais c’est terrible…

Lucie– À qui le dis-tu… Je suis encore toute énervée…

Linda– Il y a de quoi… Pauvre Charles… Mais qu’est-ce que tu vas faire? Ça ne semble pas facile de trouver un autre médecin de famille de ce temps-ci.

Lucie (regardant Charles) – Je suppose que tu lui as demandé si tu pouvais continuer avec un autre médecin à sa clinique.

Charles– Je n’ai pas eu besoin de lui demander. Leur clinique ne peut pas prendre de nouveau patient. Même les conjoints. Il m’a dit aussi que je ne pourrais sans doute pas compter m’inscrire chez le médecin de ma femme.

Lucie– Je vais quand même faire la demande auprès de mon médecin de famille.

Linda– Si ça ne fonctionne pas et si je ne me trompe pas, il faudra qu’il soit inscrit sur une liste d’attente. J’ai entendu ça. Il y a je ne sais pas combien de personnes en attente d’un médecin de famille.

Ding dong   Ça sonne à la porte…

Lucie– Qui ça peut bien être? On n’attend pas personne, n’est-ce pas Charles…

Charles– Pas moi… As-tu commandé quelque chose?

Lucie– Non… Je ne sais pas qui ça peut être? Va donc répondre Charles…

Charles– D’accord. (Charles va à la porte)

Charles– Lucie… C’est ton oncle Roland… Bonjour monsieur Roland… Ça fait un bout de temps qu’on ne vous a pas vu… Qu’est-ce qui nous vaut l’honneur?

Lucie– Entrez mon oncle… Venez vous asseoir… Vous connaissez Linda, ma voisine… Voulez-vous un café, il est encore tout neuf? Vous ne savez pas ce que Charles vient de m’apprendre?

Roland– Non…

Lucie– Dis-le, Charles…

Charles– Mon médecin de famille part à la retraite

Roland– Nooon…

Charles– Oui… Mais, en attendant, il n’y a pas d’urgence.

Lucie– Pas d’urgence… Tu en racontes des bonnes toi… On dirait que tu ne connais pas ça le gouvernement puis le système de santé. On entend juste ça la liste d’attente puis le temps que ça prend pour trouver pour un médecin de famille.

(Linda tape sur son téléphone)

Charles– Mais Lucie, mon médecin part dans 3 mois puis je vais avoir une prescription pour mon diabète.

Lucie– Puis tes cataractes…

Charles– Comment ça mes cataractes…

Lucie– Bien oui tes cataractes…

Linda– J’ai commencé à faire des recherches sur internet. Je vais vous lire ce que j’ai trouvé :

Si votre médecin ne peut plus faire votre suivi médical parce qu’il quitte l’endroit où il pratique ou qu’il prend sa retraite (c’est le cas de Charles), vous pouvez demander un autre médecin auprès du Guichet d’accès pour la clientèle orpheline (GACO) de votre territoire.

Pour avoir accès à un médecin de famille, vous pouvez vous inscrire sur la liste d’attente du Guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF). Le temps d’attente varie selon la disponibilité des médecins et le nombre de personnes inscrites sur la liste dans votre région.

Lucie– Quels sont les délais à Montréal.

Linda– Attendez un peu…Jusqu’à 477 jours.

Charles– Ça ne fait pas loin d’un an et demi, ça.

Lucie– J’ai entendu dire que des gens attendaient 2, 3 ans et même plus avant d’avoir un médecin de famille. Il doit bien y avoir d’autres solutions.

Roland– Moi j’en ai une solution.

Linda, Charles et Lucie– Quoi?

Roland– Il ne faut pas tomber malade.

Lucie– Bon… Bon… Bon… Voilà mon oncle qui fait de l’esprit de bottine…

Charles– Mais vous avez bien raison, Roland… Je travaille là-dessus à tous les jours.

(Roland se met à lire son journal)

Lucie– Toi, tu peux bien rire. On travaille pour toi si tu ne le savais pas. C’est toi le malade ici…

Linda– Lucie… Quand même… Bon, je continue… Il y aurait proche d’un million de québécois qui n’ont pas de médecin de famille. Il y aurait plus d’un médecin sur quatre qui a plus de soixante ans. La situation risque de s'aggraver avec leur départ à la retraite.

Charles– Un million! J’ai le temps de mourir dix fois avant de trouver un médecin.

Lucie– Juste une fois, ce sera assez…

Charles– Tu n’es pas drôle…

Lucie– Bon, je vais faire la démarche avec mon médecin de famille. Si tu es capable de te renseigner de ton côté, ça serait bien le fun Linda. On verra bien ensuite si on a besoin de faire quelque chose.

Interruption et reprise

Lucie– Bon… Charles avait raison… Mon médecin ne peut pas prendre de nouveau patient. Même pas mon mari… Et toi Linda…

Linda– C’est pareil pour moi. Je me suis laissé dire que la situation est assez difficile pour les personnes qui cherchent un médecin de famille. À moins d’être une personne à risque.

Lucie– Pareil pour moi…

Charles– C’est quoi le risque.

Lucie– Je n’ai rien trouvé sur cet aspect. Toi Linda…

Linda– Moi non plus. J’ai juste trouvé qu’il y avait un risque de se faire retirer de la liste d’attente si on consulte un autre médecin en attendant. Les explications sont assez confuses à ce niveau. Et toi Charles, on dirait que ça ne t’inquiète pas…

Charles– Je n’ai pas besoin de m’inquiéter, Lucie le fait très bien pour nous deux… Elle fait juste me parler de ça du matin au soir…

Lucie– Il faut bien que ça inquiète quelqu’un dans cette maison…

Linda– Savez–vous à quoi je pense?

Lucie et Charles– Non…

Linda– On devrait réunir vos familles pour voir ce qu’on peut faire.

Roland– Pas une espèce de comité. Ça ne marche jamais ces affaires-là.

Lucie– C’est vrai! Il y en a plein de comités au gouvernement, puis on n’est pas plus avancé que voilà vingt ans. Et je ne vois pas ce que tes deux jumelles de sœur viendraient faire pour nous aider. Elles et leurs histoires de macramé…

Charles– Ne parle pas comme ça de mes sœurs. Elles ne sont pas pires que ton frère Gnangnan. Il est toujours en train de faire faillite… Puis je ne parle pas de ton oncle qui parle pour ne rien dire…

Lucie– Ne dis-pas ça de mon oncle, on n’est jamais trop pour trouver une solution.

Linda– Bon, bon… On peut s’entendre pour une réunion ensemble dimanche prochain. Vous aurez le temps d’expliquer la situation à vos familles respectives. On pourra au moins leur demander s’il y a de la place dans la clinique de leur médecin. Qu’en pensez-vous?

Charles– Moi je suis d’accord. Et puis toi, Lucie?

Lucie– Je ne suis pas certaine que cela va fonctionner. Mais on peut essayer.

Linda– D’accord, on se voit tous ensemble dimanche prochain. Puis toi Charles, dis-toi qu’on va trouver une solution. Il y a des choses qui sont pires. Tu te souviens de mon oncle Eugène et de ma tante Rose. Il était aux soins palliatifs et il disait à ma tante : Ne pleure pas sur mon sort, quand je changerai de décor.

Chanson : Notre amour est le plus fort