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ÉPILOGUE

 

Après un passage enflammé soulignant la Nouvelle Année, Michelle et Florent souhaitent que les festivités se poursuivent et proposent quelques activités à leurs deux célibataires. Mais ils ne trouvent pas preneur. Curieusement, François s'est transformé en courant d'air et Marie en femme invisible. C'est ainsi que Michelle, accompagnée de sa sœur Johanne, décide de faire une courte visite à l'amie Béatrice. Au moins, ce 4 janvier sera meublé autrement que par des absences!

François ayant déserté le domicile familial très tôt, Florent se retrouve fin seul dans la grande maison. Un étrange sentiment d'abandon s'empare de lui. Il tourne en rond, se promène de pièce en pièce, essaie de lire, s'attaque aux mots croisés, retourne à la cuisine, mais rien ne va. Il est déstabilisé et ça ne lui ressemble pas. Jusqu'à ce que la sonnerie du téléphone le fasse sursauter.

À peine a-t-il le temps de dire Allô qu'une cascade de paroles déferle.

– Oui... Non, Michelle est partie avec Johanne en Estrie. Tu veux que… Ah! bien sûr. Où?... Les Enfants Terribles, celui de la rue Bernard?... À treize heures? D'accord. On se voit là-bas. Mais donne-moi un indice, tu m'inquiètes… Non? OK Promis. Je serai là.»

Il raccroche et cherche à comprendre. Il ne parvient pas à la jauger; Marie lui semble dans un état mystérieux. Il s'interroge: est-ce alarmant ou bienveillant? Cet empressement à vouloir rencontrer son père ne reflète pas la Marie habituelle. Il pousse un soupir en espérant que ce ne soit pas de mauvais augure.

 

En garant la voiture, il aperçoit sa fille qui ouvre la porte du restaurant. Son anxiété monte d'un cran.  Il respire un grand coup, perd quelques minutes à remettre de l'ordre dans l'auto et finalement se dirige vers ce bistro très fréquenté. Déjà installée tout au fond de la salle, elle lui fait signe en souriant. Ce genre de sourire n'arrive pas à le rassurer.

Tout en se faisant la bise, Marie mentionne qu'elle avait déjà commandé un plat à partager. Ainsi, ils perdraient moins de temps pour en venir à l'essentiel. En quoi pouvait bien consister cet essentiel? Un nœud dans le ventre, Florent réussit tout de même à garder un visage impassible.

Et voilà que pendant plus d'une heure et demie, Marie monopolise le temps. Elle dévoile un pan de son passé pour mieux rebondir vers son avenir. Florent en recueille les confidences comme on dévale une pente aux courbes inconnues.

Marie la secrète, Marie la discrète. Comment aurait-il pu soupçonner, ne serait-ce qu'un instant, que sa fille avait pu vivre un amour clandestin? Des détails auxquels il n'avait pas porté attention lui reviennent en mémoire. Mais oui, la Marie évasive sur ses vacances, sur ses sorties, la Marie qui travaille plus tard qu'à son habitude, la Marie qui brusquement change d'idée et ne vient pas souper, la Marie qui semble oublier de prendre ses messages, la Marie lointaine et pourtant si proche. La Marie qui, souvent, respire le bonheur à préférer une solitude qui n'en est pas une. Comment aurait-il pu deviner que sa fille vivait alors une passion amoureuse et… douloureuse? Il comprend tout à fait qu'il lui était impossible de partager son histoire, puisqu'elle faisait partie de l'ordre de celle qui se vit seul à seule.

Puis Marie qui, la larme à l'œil, se retrempe dans la rupture. Qui avoue ne pas savoir comment elle aurait pu passer au travers de cette séparation sans le soutien de son meilleur ami Robert. Qui confesse que cette décision, résultant de son unique initiative, lui avait fait connaître la plus grande des souffrances.

Et Marie qui, le regard pétillant, exulte en lui annonçant le retour de Julien dans sa vie! Candidement, elle admet qu'un petit coin de son cœur avait toujours su qu'ils se retrouveraient un jour. Et ce jour, c'était hier 3 janvier, que Julien lui avait donné rendez-vous, ce rendez-vous tant espéré. Après huit longues années d'éloignement, tout était resté intact, rien n'avait changé; ils s'aimaient encore autant. Enfin! Son Julien serait bien là pour elle, pour eux deux. Toute radieuse, elle assure que leur nouveau couple fondera une deuxième famille. Non, ce n'est pas trop vite. Ils en ont rêvé chacun de leur côté et à partir de maintenant, ils feront tout pour que cela se réalise. Il n'y a pas de temps à perdre.

– Papa, je suis tellement heureuse! Et si la vie le veut bien, je deviendrai maman, tu te rends compte? Julien et moi, nous sommes persuadés que ce sera une belle fille en santé.»

 

De retour à la maison, rempli d'émotions et empreint des confidences de sa fille, à peine s'est-il débarrassé de son manteau que François le happe dans une urgence indéfinissable. Il doit absolument parler à son père et ça ne peut pas attendre, vraiment pas. Que se passe-t-il donc du côté de son fils? Pour une deuxième fois dans la journée, il se pose la question: est-ce alarmant ou bienveillant? Puis il remarque le bagage de François tout près de la porte. Florent se prépare au pire et au meilleur. Lequel l'emportera?

François insiste pour d'abord leur servir un whisky. D'accord, même si on est un peu tôt pour l'apéro! Il s'assied face à son père et reflète un calme désarmant. Il n'en faut pas plus pour que Florent panique par en dedans. François lui raconte son passé amoureux, ses déceptions, sa presque démission face à l'amour jusqu'à ce 31 décembre dernier. Florent ne saisit pas trop où François veut l'amener. La preuve que, pour nos propres enfants, on n'a pas toujours l'œil. Et finalement, le prénom d'Isabelle tombe comme un coup de théâtre. Isabelle, la nouvelle amie de Marie! Isabelle? Et François de lui avouer que ses sorties entre amis, ses absences répétées n'étaient que prétexte pour revoir Isabelle le plus souvent possible avant de repartir pour l'Algérie. Non, ce n'est pas un feu de paille, mais bien l'amour qu'ils espéraient chacun de leur côté. Avec humour, il lui parle de l'achat du bracelet et la prédiction de sa mère le soir du 25 décembre. À son prochain congé, Isabelle le rejoindra à Paris et ils scelleront leurs projets d'avenir, dans le genre... avoir un enfant et fonder une nouvelle famille. Non, ils n'attendront pas, ils n'attendront plus.

– Papa, tu imagines. Moi, François, en amour fou avec une femme fantastique. Et si la vie nous gâte, nous aurons notre petite fille bien à nous, parce que ce sera une fille, j'en suis certain!»

Florent reste bouche bée. À peu de choses près, le discours du frère et de la sœur est similaire. Fortement ému, il aimerait offrir les plus beaux mots de la terre à son fils, mais le bruit de la porte interrompt son élan. Michelle arrive en grande trombe et sur un ton de déception, se tourne vers François. 

– Mais c'est quoi ce bagage à la porte, François, c'est quoi? Tu t'en vas ce soir. Comme ça?»

François accourt vers sa mère et la prend dans ses bras.

– Ah! Merci maman, merci. Tu es la meilleure mère au monde.»

– Et ça veut dire quoi ça en français?»

– Maman, oui je pars dans quelques minutes parce que j'ai un rendez-vous très important, un rendez-vous qui ne peut attendre, un rendez-vous… amoureux. Oui, tu as bien compris.»

– Mais raconte. J'ai besoin de savoir.»

– Papa va tout te dire. Je suis déjà en retard; Isabelle m'attend. Nous passerons mes dernières heures de congé ensemble et elle viendra me reconduire à l'aéroport demain. Je suis amoureux et… sérieusement amoureux. Ah! la vie est belle!»

– Isabelle? Mais dis-en un peu plus quand même. Je suis dévorée de curiosité.»

– Isabelle Sirois, l'amie de Marie. Oui, il s'agit bien de cette femme merveilleuse avec qui je vais...»

– Eh bien! Jamais je n'aurais pensé que…»

François se dirige vers l'entrée, attrape son manteau, son bagage, fait une grande accolade à son père et une autre à sa mère.

– On se revoit en avril. Et dites-vous que je suis heureux comme un roi!»

La porte se referme rapidement et voilà Michelle complètement abasourdie. Florent tente de la calmer, elle qui voudrait bien comprendre, mais n'y arrive pas. Tout souriant, il lui suggère fortement qu'en ce 4 janvier, un champagne serait vraiment de circonstance. Il en a beaucoup à lui apprendre sur l'avenir de leurs aînés et quand elle saura, elle réalisera qu'ils sont les parents les plus choyés au monde!

Ce soir-là, leur tête-à-tête allait se terminer très tard. Pendant ce temps, Marie et Julien savouraient en tête-à-tête le début de leur nouvelle vie tandis que François et Isabelle profitaient de leur dernier tête-à-tête avant le grand départ.

 

Après, tout se succéda à une allure folle.

Julien et Isabelle entrèrent dans le clan Lompré comme s'ils en avaient toujours fait partie. François revint au Québec en avril et sans tarder, les deux nouveaux couples firent l'acquisition de propriétés à proximité des parents Lompré et des deux jeunes frérots; ce qui intensifia la solidarité familiale. À la fin de cette année-là, Magali fit son entrée dans l'univers de Marie et Julien, exauçant leur vœu le plus cher. Et trois mois plus tard, en catastrophe, les jumelles Florence et Michaëlle décidèrent de s'accrocher à la vie, rendant François et Isabelle heureux comme des miraculés. Un second souffle se profilait avec cette cure de jeunesse du clan Lompré.

 

Mais tout ne s'arrêta pas là.

L'été suivant, Michelle et Florent profitèrent du baptême de leurs trois petites-filles pour organiser une grande fête champêtre réunissant familles et amis. Pour la première fois depuis de nombreuses années, il n'en manquerait aucun. Car en cette fin d'après-midi de juin, grâce à la complicité de Florent et François, un couple d'exilés poussa timidement la porte de la cour intérieure et fit son apparition. Accompagnés de Marek, leur petit protégé polonais âgé de deux ans, Hélène et Arnaud revenaient de loin pour enfin réintégrer le clan familial. Ce retour inespéré causa tout un bouleversement chez les Lompré. Il s'ensuivit une joie débordante qui donna un nouvel élan au rassemblement familial.

Plus tard, le flot émotionnel s'étant allégé, Florent donna le coup d'envoi à sa tradition, la photo de groupe. En ce beau dimanche estival, le tableau sera complet. Florent promet à tous que bientôt, il préparera une rétrospective en livret-photos et qu'il en offrira un exemplaire à chacun.

 

*****

 

Les retrouvailles ayant suscité beaucoup d'émoi, la fête continua sur sa lancée et ce n'est que très tard que Michelle et Florent retrouvèrent le calme de leur maison. Malgré l'heure avancée, l'effervescence de cette journée exceptionnelle les tenait en éveil. Ils réalisaient à quel point leur famille était privilégiée de connaître la signification du mot Bonheur et ils en éprouvaient encore cet état de surexcitation enivrante. Alors... ils prirent tout leur temps: le temps de se raconter, de rire, de se souvenir, de s'émouvoir et de s'aimer. Épuisés et heureux, ils pouvaient maintenant se dire «Mission accomplie». À cet instant, les chiffres lumineux marquaient trois heures du matin!

 

FIN

À la mémoire de mon père.

 

 

 

 

 

 

Jocelyne Lépine

2017