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Aujourd’hui, j’en suis à ma troisième tentative. J’ai la certitude de passer à l’acte et d’aller jusqu’au bout. Je me vois parcourir ce chemin, atteindre mon but et surtout y rester. Car c’est la partie la plus ardue: ne pas déroger et demeurer dans la même trajectoire.  En serais-je capable? J’en suis persuadé. 

 

En un éclair, je me rappelle cette première grande peur à mes trois ans. Puis, je ressens encore la douleur dans ma tête de ce coup de poing en troisième année. Et j’imagine le visage de mon premier amour que j’ai poursuivi pendant trois mois. Il m’aura fallu un peu plus de trois ans pour m’amener dans ce gouffre torride et aimanté. Ce chiffre trois me portera-t-il chance cette fois?

 

Je roule depuis une heure maintenant. Le jour m’abandonne. Curieusement, la brunante ne m’effraie pas car je sais que ma décision est irréversible. Je suis soulagé et ému et c’est plus fort que moi, mes yeux s’embuent de temps à autre. Dans l’isolement de ma voiture, la solitude d’une seule pensée est impossible. Je sais qu’il ne me sert à rien d’étaler les multiples reproches qui, de toute façon, continueront probablement de me hanter. Mais ce qui ne sert à rien est justement ce à quoi je m’accroche le plus. L’inutile devient nécessaire. Peut-être pour finalement exhorter un jour ces noirceurs presque nauséabondes, tellement l’odeur s’est incrustée dans toutes mes tripes.

 

Bien sûr, à quelques reprises, j’ai allumé ma chandelle mais en même temps, j’ouvrais la fenêtre pour que le moindre coup de vent s’empresse de jouer à l’éteignoir. Ça me rassurait. Je n’étais pas prêt à me regarder au-travers de cette lueur. J’avais trop peur de ma laideur. M’agripper à vouloir dépasser cette épaisse couche de faux soleils et accourir vers ce ciel inventé depuis tant de mois, c’était mon obsession. Refuser de me voir comme un mort en animation et rester dans ce brouillard était mon analgésique.

 

Jusqu’à cette nuit où… l’insomnie m’a tenu la main différemment. Alors, je me suis mis à genoux, les coudes appuyés sur le bord de mon lit tel un petit garçon faisant sa prière.  Mes pensées défilaient en noir et blanc, je calculais les miettes de mon bonheur passé, j’évaluais le désastre de mes actifs humains, je me voyais continuer à marcher sur ces champignons vénéneux. Puis, j’eus un regard pour cette obscurité bienveillante et soudainement, le film de ma vie s’est mis en mode «futur».

 

Une puissance est montée en moi, mais pas celle dont les démons se plaisent à me servir habituellement. Non, c’est une sensation troublante et réjouissante à la fois. C’est un élan d’air frais qui vient de m’ouvrir sa porte, j’ai pu l’identifier presque à la minute. Cet élan, je l’ai nommé «Désir». Oui, c’était bien ça! Le désir, c’est une lumière et ça ne se commande pas. On ne peut que le souhaiter. La volonté, j’avais déjà eu à faire avec elle; je la trouvais contraignante, ce n’était pas un choix. Mais ce que je ressens cette nuit est une force éclatante, une tripe vivante en moi et une soif de beauté. Des ondes de calme se propagent dans tout mon corps. Je me vois courir pour aller rejoindre au plus vite ce nouvel homme que je perçois dans cette clairière lumineuse.

 

Alors, j’ai filmé dans mon coeur le décollage de l’avion qui m’amènerait dans un autre ciel, mais le bon cette fois. Oui, j’attacherai bien ma ceinture et en sécurité, j’y serai.  J’aimerais demander au réalisateur d’accélérer le tournage de ce film mais dans le fond de moi, je sais bien que les scènes doivent être jouées une à une pour se terminer sur grand écran. C’est un travail colossal. Mais le désir de réussir sera dorénavant mon vecteur et j’en suivrai le fil jusqu’au bout. Cette longue nuit, qui a duré tout le jour, m’a soufflé le courage de rallumer ma bougie et de m’y voir au-travers.

 

C’est pourquoi je suis en route aujourd’hui: pour changer d’univers. Certes, j’ai dû insister fermement pour obtenir l’autorisation de me rendre directement sur place. Il paraît que ça ne fait pas partie des règlements. Mais je dois être convaincant. D’ailleurs, cette aptitude m’aura aidé à me jeter dans les noirs abîmes d’un paradis artificiel.

 

J’aperçois maintenant cette grande bâtisse blanche plutôt terne et je sais que c’est ma piste d’atterrissage. Aucune enseigne, car la discrétion est de mise, mais quelques éclairages extérieurs me signifient que mon arrivée est attendue. Je prends une grande respiration et je ramasse mon bagage à  l’arrière de l’auto. Deux hommes viennent à ma rencontre, comme deux gardes du corps qui viennent cueillir leur protégé. Chacun d’eux me tend une main chaleureuse et leurs regards s’immobilisent au mien. Une fois de plus, mes yeux deviennent humides.

 

On me fait pénétrer à  l’intérieur où je suis dirigé aussitôt dans ce qu’ils ont nommé la salle d’accueil. Une troisième personne d’une sympathie saisissante est là pour me recevoir. Même si je connais déjà les procédures, on me les explique d’une façon très spécifique. Alors débute la fouille: on inspecte minutieusement mon mince bagage, on récupère mes clés de voiture, mes papiers, mes objets personnels et on me demande une nudité presque complète pour une dernière vérification sans faille. Tout se fait dans le respect le plus absolu et dans un silence débordant de bonnes paroles.

 

Je vivrai ici les prochaines semaines de ma désintoxication. J’aurai un chemin de croix à parcourir. À moi le sevrage, la souffrance physique, la torture morale, le désespoir, le doute, la sueur, les cauchemars. À moi aussi la délivrance, l’espoir, la découverte, le bien-être, le renouveau, la résurrection enfin! 

 

Je mettrai un terme à ce brouillard et cette troisième tentative sera couronnée par ma sortie, en emportant avec moi mon film personnel sur grand écran intérieur. Le petit garçon de trois ans pourra me prendre par la main et faire pleinement confiance à cet homme transformé que je serai devenu. À  moi la vraie vie sur fond de ciel bleu!

 

 

Jocelyne Lépine

2010

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