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Paf! Paf! Son corps s'est écroulé, glissant contre le mur déjà éclaboussé de sang. La gracieuse Italienne aux cheveux d'ébène venait de recevoir ses derniers coups de vie.

Tout près, recroquevillé et terrorisé, le garçonnet de 5 ans baissa les yeux et vit le pistolet confiné dans ses mains. Puis son regard se porta sur la belle noire, effondrée au sol. Le sang s'était figé sur le plancher, tout comme lui.

Un bruit fracassant retentit. L'arme venait de se libérer de l’emprise de ses doigts et avait atterri à quelques pieds de lui. Il essaya de se relever mais son équilibre chancelant le fit trébucher sur les bouteilles vides qui roulèrent dans un sinistre tintement. Il se mit alors en position fœtale d'où il pouvait contempler ce corps inanimé et maculé de sang, à la chevelure maintenant teintée de rouge.

Il ferma les yeux et retrouva sa noirceur; il se boucha les oreilles et pénétra dans son tunnel.

 

Ma belle Claudia, t'aurais dû comprendre que j'me possédais plus. Fallait pas me faire attendre, me faire douter. Toi, t’es à moi. À personne d'autre. Tu me l'avais dit et répété. C'est toi que j'ai choisi et y’en aura jamais d'autre. Que tu me disais. Et tu riais, en rejetant ta longue chevelure noire vers l'arrière.

 

Mais ce soir, quand il avait vu le sourire cinglant de la lune, ça s'était confirmé dans sa tête; l'infidélité était dans l'air. Moi, Rick, on ne me trahit pas. Jamais. Maman l'a su un jour et pour toujours.

Toi, je t'adore. Pour toute la vie, tu seras mon seul et unique. Qu'elle me chuchotait. Puis un jour, elle me prend par la main pour m'annoncer une belle nouvelle. Qu'elle disait. Oui, tu seras content, très content. Tu vois mon ventre qui grossit? Eh bien, dans quelques mois, tu auras un petit frère, oui un petit frère pour toi. Qu'en dis-tu? Je n'ai pas répondu. Aucun son ne sortait de ma bouche d'enfant. J'ai regardé papa. Il avait l'air heureux. Alors, j'ai fait comme la lune, un sourire méchant. Mais eux, n'ont rien saisi. Tant mieux. Je suis reparti jouer avec mes camions, mais j'avais déjà décidé que ma maman, je ne la partagerais avec aucun autre garçon. Ce petit frère n'existerait pas et je trouverais bien un jeu pour l'éliminer. Maman devait savoir qu'on ne me ment pas, même si je n'ai que 5 ans.

Un après-midi, allongée dans son lit, elle me fait un câlin et me demande de rester sage; elle aimerait quelques minutes de repos. Bien sûr que je serai tranquille. C'est là que j'ai mis mon plan à exécution. Je me suis dirigé vers la cuisine. Maman y avait laissé le petit escabeau. Je suis monté sur la première marche; sans bruit, j'ai ouvert le grand tiroir et je me suis servi. De retour dans la chambre, j’étais assuré qu’elle dormait profondément, car des sifflements sortaient de sa bouche. Je me suis approché doucement, sur la pointe des pieds, un gros couteau dans chacune de mes mains. Et slash! slash! De toutes mes forces, je les ai plantés dans le petit frère. Du rouge, il y en avait partout. Après, je n'ai plus revu ma mère. Le reste, j'ai oublié.

 

La tromperie, cette fois non plus, il ne la supporterait pas. Il allait y voir et sérieusement. Parce que moi, Claudia, je suis quelqu'un de bien, je ne suis pas un homme qui joue la comédie. Quand j'aime, j'aime. Et toi, tu es la mienne, tu le sais. Ce soir, j'ai même pris la peine de mettre mon habit marine, celui que tu préfères, et ma chemise blanche à rayures bleues; j'y ai ajouté la cravate que tu m'as offerte pour mon anniversaire. J'ai fait ça juste pour toi, pour que tu sois fière de moi … une dernière fois.

Quand tu es entrée dans l'appartement, Claudia, j'étais prêt. Prêt à l'attaque. Sans attendre, je me suis jeté sur toi avec une force brutale. Empoignant ton abondante chevelure, je t'ai acculée au mur. Tu ne crierais pas longtemps; ça aussi, j'allais y voir. Je t'ai muselée et j'ai continué de te tabasser. À l'oreille, je t'invectivais de mots injurieux. Tu allais savoir que si j'étais le tien, il n'y aurait jamais de place pour un autre. Ma vengeance prenait forme, car je voyais la peur dans tes yeux. T'inquiètes pas ma belle noire, ta délivrance approche. Que je t'ai dit. Tu as tenté de te débattre, mais tu ne t'en sortirais pas; je suis le plus fort.

Tout à coup, sur le mur, j'ai vu des traces de sang. Et j'ai regardé ma chemise. Elle aussi avait été éclaboussée de sang. Alors, ma colère a tourné au rouge. Là, je t'ai prise à la gorge. Je te sentais étouffer et ramollir. D'une main robuste, je t'ai retenue et de l'autre, je me suis emparé de l'arme camouflée dans la poche de mon veston. Toi, tu n'as rien vu, mais tu as entendu le déclic, je le sais. Tu as crié, tu as hurlé et … j'ai tiré. Paf! Je suis redevenu le chasseur qui ne lâche pas sa proie. Paf! Un autre coup. Plus jamais tu me ferais de peine. Plus jamais tu me tromperais. Plus jamais tu me mentirais. Comme ma mère l’a fait!

 

Combien de temps s'écoula avant que les lumières tournantes des gyrophares passent au travers de ses paupières? Pendant combien de minutes les hurlements hystériques du véhicule jaune brûlèrent le silence dans ses oreilles? Il ne sait pas. Le bruit infernal des pas lourds courant dans l'escalier, les cris des fauves à l'assaut, les coups de pied dans la porte, la ruée vers le corps de sa sirène, alors ses 5 ans se multiplièrent par 8, ses yeux s'ouvrirent et son grand corps de 6 pieds se déplia à la force d'un Goliath. À une vitesse fulgurante, il récupéra le pistolet et le pointa vers les deux policiers.

Rick, laisse les ambulanciers s'occuper de ta blonde. Après, on se parlera. Ok. Ok. Mais vous approchez pas les gars. Jette ton arme par terre, Rick. Qu'ils lui crièrent.

 

Comment un si chic type peut-il devenir un meurtrier? Dans ce patelin, on connaît les histoires d'à peu près tout le monde. Rick, venu de nulle part et nouveau résident depuis bientôt un an, s'était démarqué. Le coup de foudre entre Claudia et lui avait fait le tour de la place. Un gars avec une belle personnalité, serviable et tellement  sympathique.

Sauf certains soirs où le propriétaire du bar fréquenté par Rick devait faire appel au 911. Il craignait que l'attitude de son client ne dégénère en violence. Mais lorsqu’arrivaient ses chums, comme il les appelait, plus aucun signe de turbulence ne régnait dans la place. Luc et Donald le raccompagnaient chez lui et s'amusaient un peu de cette balade, car Rick en profitait pour défiler son répertoire de blagues grivoises. Le lendemain, il se permettait un détour pour les saluer et s'excuser discrètement. Ouais je crois que j'ai un peu exagéré sur l'alcool, mais inquiétez-vous pas les gars, ça se répétera pas. Qu’il leur confiait. Effectivement, cela ne s'était produit que … quelques soirs de paie.

 

Hier, Claudia s'était présentée au poste, la peur au ventre à cause d'un mauvais pressentiment. Avec Rick, elle devait faire attention; elle n’avait pas le droit de lui parler de sa maman à elle. Elle s’était bien aperçue qu’il vouait une haine inexplicable envers les termes de mère ou de maman. À ne jamais prononcer devant lui. Pour Rick, elles étaient toutes des manipulatrices et des menteuses. Quand un homme parle ainsi, on se doute bien qu'il y a une énorme blessure dans son cœur. Qu'elle leur dit.

Mais là, sa mère a dû être hospitalisée d'urgence et les médecins craignent pour sa vie. Elle avait réussi à contourner la vérité et à raconter autre chose à Rick sur son absence. Demain, elle doit y retourner. Elle a peur… peur que Rick le sache, qu'il se fâche et qu'il devienne agressif. Les agents peuvent-ils faire quelque chose pour la protéger? Qu'elle leur demande.

Claudia, on ne peut rien pour vous. Aucun geste répréhensible n'a été commis. Rick, c'est un bon gars; il ne s’en prendrait jamais à vous. Et puis, pour votre maman, expliquez la situation à Rick; il comprendra, c’est certain. Qu'ils ont répondu.

Claudia a essuyé ses larmes, les a remerciés et a franchi la porte de sortie, tête baissée. Luc et Donald se sont regardés en se disant qu'elle se tracassait pour rien. Rick, avec son sourire bon-enfant, ne ferait pas de mal à une mouche. Ils le connaissaient depuis pas si longtemps, mais entre hommes, ça se sent ces choses-là.

 

Ses mains tremblent, mais ne lâchent pas l'engin. Il regarde de côté et voit sa sirène sur la civière, dissimulée sous une couverture rouge. Et il a vu rouge. Non. Jamais personne ne prendra sa Claudia. Jamais! Il hurle comme un animal à qui on enlève ses petits. Pas question de la laisser aller. Jamais!

Rick! Qu’on lui crie. On va t'aider. Laisse tomber ton revolver. Rick, ne fais pas le fou. On est là pour toi. Rick!

Rick n'entend plus rien. Il sait déjà ce qu’il lui reste à faire. Après tout, que vaut sa vie sans sa Claudia? À la seconde, les deux agents braquent leur arme. Rick aussi. Paf! Paf! Paf!  Dans le même instant, trois coups retentissent.

 

Le cœur triste et la larme à l'œil, Luc et Donald ont fait le tour de la pièce. Pardon,  Claudia, on n’a vraiment rien compris. Qu'ils se sont dits. Qu'ils se sont reprochés. La quantité de bouteilles vides ne laissait planer aucun doute sur la source de la folie meurtrière de Rick. Au mur, des traces dégoulinantes de sang dans lesquelles s'étaient fixés des filaments de chevelure noire et au sol, un homme frôlant l'indécence dans son complet marine sur lequel s'étaient cristallisées les souillures violacées de l'amour-haine. Ils en eurent la nausée. Les tirs résonnaient encore dans leur tête. Paf! Paf! Paf! Trois balles pour une même cible.

La lune, au sourire déchirant, venait de changer le caractère de leur paisible village. Une deuxième civière fut requise, une autre couverture rouge aussi.

 

Le corps de Rick gisait maintenant dans une mare de sang, dans son sang, dans son sang rouge.

 

Jocelyne Lépine

2016