Par

Pas à pas, je m'aventure dans les couloirs de cet édifice imposant, empreint d'une atmosphère feutrée, mystérieuse et touristique. Le lieu est fréquenté en toute saison et cette soirée hivernale  n'y fait pas exception. L’égocentrisme prend toute la place et je déroge à la portée spirituelle de l'endroit. Je me tourne plutôt vers mes six ans et mon premier voyage dans la grande Ville. Alors, mes souvenirs d'enfance refont surface.

˷˷˷

 

Une de mes tantes, étudiante à l'Université de Montréal, m'avait hébergée, l'espace d'une journée. Sa fierté consistait à participer à mon éducation culturelle. L’Oratoire Saint-Joseph s’avérait le début de cette nouvelle aventure et représentait la sortie de circonstance. Demeurant dans un village où la bâtisse la plus impressionnante s'appelle une église, je me suis sentie aussi petite que ma poupée devant l'immensité de cette construction gigantesque.

 

Lorsque nous avons pénétré dans cette enceinte, j’avais été très troublée devant toutes ces béquilles suspendues, ce qui m’avait occasionné un peu la nausée. Était-ce la première fois que je prenais conscience de la misère? Probablement. Ma naïveté puérile expliquait difficilement qu'autant de personnes, ayant la capacité de marcher, s’agenouillaient les mains jointes et le regard implorant. Puisqu’elles avaient toujours l’usage de leurs jambes, pourquoi venir ici et prier? Et puis, se pouvait-il que ce soit vrai ce qu'on racontait sur les miracles de ce Frère André au visage rébarbatif et sans sourire? Il ne m’inspirait pas vraiment confiance.

 

Mon questionnement s’est interrompu lorsque j’aperçus la multitude de lampions aux reflets rouges, rouges comme Noël. À grande vitesse, je m'y suis précipitée pour voir de plus près. J’étais maintenant persuadée d’accéder au merveilleux monde du Père Noël. Ma gorge se serra et mon cœur se mit à battre comme un tambour. Ma joie était à son comble. Quelle gentillesse de la part de ma tante de m’avoir réservé une surprise aussi éclatante: me conduire dans le lieu saint du Père Noël!

 

Mon regard virevoltait dans tous les sens. Le coloris des verres contenant la lumière magique me fascinait. Mon plaisir ne se décrivait pas, il se vivait. Dans mon excitation, j’en oubliai la consigne du silence et je me suis mise à crier pour ma chère tante « Merci, merci, est-ce que … » Ma phrase n’a pu survivre. Brusquement, ma tante m’a fortement rabrouée avec le signe de l’index sur la bouche et un flot de regards indignés a terminé ma mise au poteau. La nausée a repris sa place. Mon cœur s’est éteint. Ma gaieté a disparu. Nous avons poursuivi la visite de l’Oratoire dans un mutisme complet.

 

Malgré tout, mon personnage enchanté me hantait et je scrutais tous les recoins en espérant l’apercevoir et pouvoir bondir vers ce bon monsieur à barbe blanche. À la fin de la visite, ma tante, me tenant d'une main très ferme depuis mon esclandre, m'a amenée à la chapelle pour remercier le petit Jésus. Elle a choisi un banc, je m'y suis glissée et nous nous sommes mises à genoux. C'est là que j'ai eu une idée fantastique. Les mains jointes et les yeux fermés, j'ai adressé une vraie prière au Frère André, en m'excusant à l'avance de ne pas l'avoir trouvé sympathique. Comme il savait y faire avec les miracles, je l'ai supplié de me montrer où se cachait mon bon Père Noël. Après, j'ai marmonné un gentil merci au petit Jésus en lui promettant qu'un jour, je lui présenterais mon Monsieur barbu qui donne des cadeaux. Toutes deux, nous avons fait notre génuflexion et nous sommes dirigées vers la sortie. Toutefois, juste avant de quitter ce décor spirituel, je me suis retournée comme pour faire un salut au Frère André et c'est là que je l'ai entendu me murmurer la cachette du Père Noël. Un miracle venait de se produire. À partir de ce moment, je me suis mise à gambader au côté de ma très chère tante. Elle m'a jeté un drôle de regard comme si elle se demandait quel était l'objet de cette soudaine jovialité.

 

Ma tante a continué mon apprentissage. Après quelques minutes de marche, elle a poussé une grande porte. Je suis entrée derrière elle et, lorsque j'ai aperçu tous ces desserts dans le comptoir vitré,  j'ai explosé… encore une fois. Je criais ma joie, je tapais des mains, je sautillais. Qu'est-ce que j'étais contente! Elle me fit les gros yeux et j'ai baissé les miens.

 

Sagement, je me suis assise à la table qu'elle m'avait indiquée. Puis je l'ai vue s'approcher avec un grand plateau et mes jambes ont commencé à fourmiller. Le plus sérieusement du monde, elle a déposé devant moi une pâtisserie en long avec une couverture chocolatée. Je t'ai choisi un éclair au chocolat et tu as droit aussi à un Cola. Hum... toute une gâterie et en plus, un verre de Cola avec des morceaux d'orange et de citron, c'était ma fête! Et là, mon coeur s'est emballé à nouveau. Je me suis mise à parler fort, à gesticuler, à rire. Jusqu'à ce que la peur m'arrête soudainement. Ma tante allait-elle me confisquer mon breuvage de grande et ma pâtisserie parce que j'avais démontré exagérément mon enthousiasme? Je n'arrivais plus à respirer normalement. Jusqu'à ce qu'elle relève la tête, qu'elle me regarde avec ses grands yeux verts et qu'elle s'accroche un majestueux sourire à son beau visage.  Alors, tu es contente? Oh oui, oh oui.

 

Je dégustais avidement. Il me semblait que j'étais devenue un petit lutin au royaume des pâtisseries, des sucreries et des bonbons. Un lutin? Et mon Père Noël, mais oui, mon Père Noël, je l'avais presque oublié. Je cherchais dans ma tête le secret de son refuge et je ne le retrouvais plus, comme si toutes ces gâteries l'avaient effacé de ma mémoire. J'ai failli ne plus être capable d'avaler une seule bouchée mais l'attrait du chocolat a été le plus fort.

 

J'ai terminé mon éclair sans en laisser une miette et bu toute ma liqueur. Malgré tout, je me sentais un peu triste. Ma tante s'en était-elle aperçue? Elle me glissa à l'oreille qu'elle me réservait une autre surprise. Ah oui? Alors c'est main dans la main que nous avons trottiné vers le Musée de cire. Qu'allais-je y découvrir? Peut-être Blanche-Neige ou le Petit Poucet ou… qui sait? Ah comme j'étais redevenue une fillette heureuse, grâce à tante Gigi!

Jocelyne Lépine

2011

Pour vous inscrire aux nouveautés:  jacques@jacquesracicot.com