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            Il était maintenant à votre porte ce véhicule, jaune presque soleil et aux sirènes silencieuses, celui qui vous conduirait à votre dernière aventure. Mais comprenez-moi bien, j’aurai été simplement votre bouée de sauvetage, celle qui vous aura délivré de votre Mal. Car vous le saviez que je vous observais à travers ma fenêtre, du haut de mon deuxième étage.

 

Souvent, trop souvent même, vous y flâniez tout au bord de cette belle piscine qui agrémentait votre cour. Je me questionnais donc de vos pensées. Je vous imaginais plein de remords ou peut-être rempli de peine. Lequel des deux préféreriez-vous ? Moi, je pencherais pour une certaine lâcheté de votre part.  Probablement que vous n’aviez pas su y faire ou pas voulu y faire.  Lequel des deux choisiriez-vous ? Moi, j’opterais pour vos inconduites.

 

Malgré tout, je frissonnais de vous savoir abandonné à cause de vous. Pourtant, votre demi-barbe blanche aurait dû vous sonner l’alarme. Il n’y avait plus de temps à perdre. La vie, pour les gens de votre décennie, ne se joue plus; elle doit être vécue à fond.

 

Vous vous y assoyiez toujours plus près, comme une attirance que l’on ne peut contrôler. Vous respiriez l’absence car vos yeux semblaient ne plus rien fixer; du moins, c’est ce que je m’imaginais.  Par moments, je vous scrutais assidûment, espérant peut-être un regard furtif qui se tournerait vers ma fenêtre et là, je vous aurais peut-être protégé de vous-même.  De temps en temps, je me permettais de vous façonner. En effet, je me mettais à l’étude de votre cas et j’envisageais même un jour de publier vos folies et votre vie regrettable. Heureusement pour vous, il y avait ces quelques feuillages qui me cachaient ce que j’aurais voulu percevoir davantage de votre personnage. Je ne pourrai donc pas tout dévoiler aux futurs lecteurs mais je crois que je réussirai à inventer quelques événements palpitants.

 

Puis, ce matin, je me suis levée très tôt. Pourtant, cela ne fait partie de mes habitudes mais peut-être est-ce en raison de la chaleur écrasante. À la fenêtre, mon premier regard fut pour vous mais je ne l’ai pas su tout de suite car les verdures m’empêchaient de tout distinguer d’un seul coup.  Et je vous ai aperçu ! C’est un rendez-vous ou un garde-à-vue ?

 

Bizarrement, j’ai ressenti une grande paix. Le port de votre tête était altier, votre corps assis dans sa chaise habituelle avait une apparence détendue et vous teniez un objet quelconque dans votre main droite. Comme si vous veniez de découvrir la clé de votre futur bonheur. Une joie se glisserait-elle dans votre horizon ? Vous vous êtes levé doucement de votre fauteuil tout confort; vous avez fait le tour de cette imitation d’eau salée; vous vous êtes tourné vers ma fenêtre et vous avez esquissé une légère montée de votre main comme pour me dévoiler votre mystère. À ce moment, un soleil ardent plombait dans votre périmètre. Je faillis reculer tellement les reflets de votre instrument furent puissants. Oui, je venais de comprendre que vous alliez le faire, que vous alliez vous exécuter car vous déteniez maintenant l’outil de votre destin. Je me suis sentie aussitôt de connivence avec vous. Vous vous êtes alors rapproché encore plus près du bord. Nonchalamment, vous avez taquiné l’eau de vos pieds. Puis vous avez entrepris votre massacre. Tout s’est passé très lentement comme pour me laisser le temps de bien inscrire dans ma mémoire ce spectacle. Tailladé juste là où il le fallait et probablement avec une précision dont vous connaissiez la recette, la couleur du jour a changé. L’eau, qui n’avait pas de teinte, s’est mise à se transformer en une arabesque sanglante. Votre scénario était sûrement bien préparé car je soupçonne que vous vous êtes jeté dans cette eau javellisée à la seconde où le non-retour fut définitivement votre choix ultime.

 

Je vous ai laissé vous engloutir dans votre belle piscine maintenant ternie et je n’ai pas bougé.  J’étais ébranlée mais je ne voulais surtout pas intervenir dans votre vie de vivant. Après un deuxième flottement de votre corps dans cette eau écarlate, j’étais maintenant assurée que votre objectif était atteint. Alors seulement, j’ai composé les trois chiffres magiques afin que les secours viennent trop tard à vous. Oui, je venais de vous délivrer de votre Mal. Béni soyez-vous !

 

Je les vois, là, à essayer de vous réanimer. Mais c’est perdu d’avance ou plutôt c’est gagné haut la main, mais oui votre main, c’est elle qui finalement vous aura sauvé de votre vie. Vous lui avez rendu un dernier hommage en esquissant à grands frais de lame une œuvre d’artiste non reconnu. Votre piscine a reçu de vous vos derniers soupirs de vie. Et après vous avoir nettoyé de toute vie, l’on viendra renouveler cette eau rouge-sang et plus trace de vous n’y paraîtra.

 

 

Je dois maintenant quitter la scène de votre libération car l’on sonne à ma porte. C’est une voiture blanche aux rayures bleues qui m’attend. M’aiderez-vous à me délivrer de votre histoire ?

 

 

Jocelyne Lépine

2010